A la recherche de notoriété

S'engager en politique et briguer un mandat électif, c'est toujours dans une certaine mesure chercher à flatter et séduire l'électorat. Mais c'est aussi vouloir flatter son propre ego par l'obtention des honneurs et de la reconnaissance publique. 

Pourquoi certains hommes et certaines femmes sont-ils prêts à affronter mille fatigues pour se faire élire conseiller général, maire d'une grande ville, député, avant de convoiter ensuite une carrière nationale semée d'embûches ? Après tout, la routine quotidienne d'un responsable politique important, c'est un agenda surchargé, des critiques à subir dont la bonne foi n'est pas toujours évidente, des pressions « amicales » qui peuvent se révéler embarrassantes, les réclamations des quémandeurs, les récriminations des aigris, sans oublier non plus la confrontation douloureuse, lorsqu'elle est impuissante, à beaucoup de misères, d'injustices ou d'inégalités.

En faisant carrière en politique, un individu abdique une grande part de sa liberté personnelle : il lui faut se montrer dans certains lieux, surveiller son langage, calculer ses réponses, manifester des émotions convenues, s'abstenir d'afficher tout haut ce qu'il pense réellement tout bas. La vie des hommes (et femmes) politiques est-elle donc si enviable ?

Pour la plupart d'entre eux, néanmoins, la réponse est certainement positive. On ne comprendrait pas, sinon, l'énergie qu'ils déploient pour conserver leurs mandats, ni le désarroi psychologique de ceux qui les perdent, ni l'amertume de ceux qui se sont vus écartés de l'investiture aux élections. Quelles sont donc les gratifications qui peuvent paraître suffisamment attractives pour faire accepter d'aussi lourdes contraintes ?

Il arrive que les candidats ou les élus expliquent spontanément leurs motivations : désintéressement, convictions, goût de l'action seraient leur seul guide. Il est un peu imprudent de se contenter de ces professions de foi destinées à convaincre les électeurs. Non pas qu'il faille nécessairement mettre en doute leur sincérité, mais, de toute évidence, elles relèvent d'une démarche d'idéalisation de soi qui, au moins, a le mérite d'attirer l'attention sur un facteur décisif de l'engagement : la quête d'estime de soi et le souci d'être socialement reconnu.

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Une légitimité toute particulière

L'entrée en politique est susceptible de procurer de précieuses satisfactions à ce niveau. Mais plutôt que d'accepter au premier degré les mobiles allégués, il est préférable de chercher à identifier les gratifications effectives, offertes par la vie politique. C'est en observant ses logiques de fonctionnement, dominées par les échéances du suffrage universel, que l'on peut mieux comprendre ce qui séduit plus particulièrement certaines catégories d'individus et les fait se passionner pour elle. Du point de vue du besoin de reconnaissance, la conquête de mandats électifs importants comporte en effet deux conséquences automatiques : elle fait accéder à la notoriété et confère une légitimité toute particulière.

La notoriété est à l'origine des plaisirs de la considération. Dans un monde dominé par le brouhaha médiatique et la libre expression reconnue à chacun, le problème majeur est celui de se faire entendre, voire écouter, alors qu'il peut être humiliant de voir son point de vue ignoré. La notoriété du maire, du député, du ministre leur assure, par rapport aux citoyens ordinaires, de bien meilleures chances d'accès à la presse locale, voire nationale ; elle leur confère une place centrale sur la scène sociale à l'occasion des inaugurations officielles et des festivités publiques, dans les réunions de militants ou les rencontres avec les milieux professionnels. Lors de conflits sociaux interminables, lors de calamités naturelles éprouvantes, on se tourne tout naturellement vers eux, comme arbitre ou comme recours, pour trouver des réponses aux défis affrontés. La notoriété fait littéralement exploser les réseaux relationnels de l'élu ; ses « amis » se multiplient, les contacts se révèlent d'une surprenante facilité avec des personnalités des mondes économique, culturel, sportif, associatif...

Il en résulte ce que l'on pourrait appeler une « intensification de l'existence ». L'élu se trouve confronté à des problèmes et des langages nouveaux ; ses connaissances s'enrichissent, ses expériences s'élargissent, tous ces publics nouveaux stimulent ses facultés d'adaptation et lui donnent le sentiment d'un enrichissement personnel exceptionnel, surtout s'il était jusque-là enfermé dans des horizons professionnels étroits. Davantage encore, l'élu français tend à s'identifier, et se voit identifié, à sa circonscription. Marseille, c'est Jean-Claude Gaudin ; Rennes, c'est Edmond Hervé ; au plan national, Jacques Chirac, c'est la voix de la France. Le phénomène est favorisé par les scrutins qui personnalisent l'élection en France : le scrutin uninominal pour le choix du président de la République ou celui des députés ; le scrutin de liste qui, aux municipales, confère une place prééminente à celui qui la conduit. Au contraire, la proportionnelle aux européennes, le suffrage indirect pour les sénateurs exercent des effets très médiocres de ce point de vue, ces mandats se révélant d'ailleurs moins prisés. Certes, la notoriété d'une ville peut être très inégale et la durée des fonctions ministérielles fort éphémère.