Aux États-Unis, Stephen Greenblatt a révolutionné l’art du récit historique. Ses études savantes sont plébiscitées pour leur qualité narrative. Après s’être donné William Shakespeare comme sujet de spécialisation et source d’inspiration littéraire (Will le Magnifique, rééd. 2016), et avoir publié une version personnelle d’un moment fondateur de la modernité (Quattrocento, 2013), il s’attaque au mythe le plus connu de l’humanité, cet énigmatique texte de la Genèse qui fournit à la Bible ses premières pages : l’histoire d’Adam et Ève.
Vous présentez l’histoire d’Adam et Ève comme un chef-d’œuvre de storytelling. Pourquoi ?
Parce que ce texte réussit, en très peu de lignes, environ 50 phrases, à répondre à tout. Il explique la création de notre espèce, la sexualité, la domination de l’homme sur la nature, la nécessité du travail, la sanction de la transgression, la mortalité, la douleur des enfantements, et même la peur des serpents. Le tout en une structure efficace. Vous entendez cette histoire une fois dans votre enfance, et vous ne l’oubliez jamais.
Mais cette histoire est-elle identique dans le judaïsme, le christianisme et l’islam ?
Adam reste la première pierre au fondement de ces trois monothéismes. Mais on note d’importantes différences dans l’interprétation que chacun donne à ce récit fondateur. Ni le judaïsme ni l’islam n’ont développé de théorie du péché originel. C’est une notion exclusivement chrétienne, qui renvoie à la faute commise par Ève en écoutant le serpent, puis en convainquant Adam de consommer tous deux le fruit de la connaissance, désobéissant à la volonté de Dieu. L’islam ne rejette pas la faute sur la femme. Et il fait d’Adam, et secondairement d’Ève, la figure anticipatrice du prophète Mahomet.