La formation des artistes contemporains

La plupart des artistes contemporains reconnus ont suivi des études supérieures d'arts plastiques. S'ils ne le crient pas sur les toits, c'est que le monde de l'art s'oppose encore aux académismes du siècle passé, malgré la large part qu'accordent aujourd'hui les écoles à l'inspiration personnelle du créateur.

A l'inverse des médecins, des avocats ou des cadres supérieurs, qui affichent souvent publiquement leurs parcours universitaires, surtout lorsqu'ils sont prestigieux, le milieu de l'art semble cultiver un certain mystère en ce domaine.

Parcourons en effet quelques catalogues d'expositions : la plupart du temps, on y passe directement de la date de naissance de l'artiste à celle de leur première exposition. Pourtant, comme l'écrivait Annie Verger en 1982, « la naissance de l'artiste ne coïncide pas avec son apparition sur le marché de l'art » (« L'artiste saisi par l'école », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 42, avril 1982).

Qu'ont-ils fait pour devenir ce qu'ils sont ? Ce n'est pas toujours facile à savoir. Le peintre Jean Dubuffet (1901-1985) ne manquait pas de se présenter comme un autodidacte, même s'il avait suivi pendant six mois les cours d'une école d'art privée très réputée, l'académie Julian. En revanche, il faut lire des publications spécialisées pour savoir que le sculpteur César (1921-1998), que les peintres Andy Warhol (1930-1987) et Jackson Pollock (1912-1956) ou encore le plasticien Christo sont tous d'anciens élèves d'une école des beaux-arts ou du département d'arts plastiques d'une université. Comme l'écrit encore A. Verger, il semble que dans le domaine artistique l'idéologie dominante depuis environ un siècle veuille que « l'épanouissement du génie passe par l'innocence culturelle ».

César, A. Warhol, J. Pollock ou Christo sont pourtant, du point de vue de la formation, beaucoup plus représentatifs du milieu artistique que J. Dubuffet. Une brève enquête, menée à partir de quelques-unes des sources disponibles, indique que la grande majorité des artistes contemporains reconnus, c'est-à-dire ayant exposé dans des manifestations nationales ou internationales, a reçu la même formation que les artistes déjà cités. Sur 132 artistes (dont 41 Français, 33 Allemands et 22 Américains) nés entre 1901 et 1954 et dont les biographies figurent dans des ouvrages consacrés à l'art contemporain 1, 115, soit 87,1 %, ont suivi des études artistiques supérieures. Parmi eux figurent, outre les César, A.Warhol, J. Pollock et Christo déjà nommés, certains des représentants les plus consacrés de l'art contemporain : Joseph Beuys (1921-1986), Jean Tinguely (1925-1991), Valerio Adami, Victor Vasarely (1908-1997), Gérard Fromanger, Alberto Giacometti (1901-1966), et même les très britanniques et provocateurs Gilbert et Georges. Certains d'entre eux, tels J. Beuys, César ou V. Adami, ont même été enseignants dans des écoles des beaux-arts. Ces résultats sont confirmés par l'étude exhaustive qu'avait menée il y a une quinzaine d'années une équipe de sociologues du CNRS 2. Ces derniers avaient élaboré une typologie socioprofessionnelle des artistes français. Ils avaient constaté que 72 % d'entre eux avaient reçu une formation artistique, 46 % à un niveau supérieur et 33 % à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris ou dans une école des beaux-arts de province. Ils remarquaient par ailleurs qu'il existait une forte corrélation entre la formation artistique supérieure et la réussite artistique professionnelle. Corrélation qui explique le décalage avec la première enquête : les artistes qui ont fait l'objet de cette première enquête sont tous des artistes reconnus au niveau national ou international, contrairement au panel beaucoup plus exhaustif de l'enquête du CNRS. Ils sont donc logiquement plus nombreux à avoir suivi des études artistiques supérieures. Détail significatif : 61 % des artistes interrogés par les chercheurs du CNRS se déclaraient autodidactes, alors que 72 % d'entre eux avaient poursuivi des études artistiques...