Aimer comme des bêtes

Il a fallu du temps pour admettre que les animaux pouvaient éprouver des émotions. Mais c’est depuis peu que l’on commence à comprendre que la gamme de leurs sentiments est, en matière d’amour, aussi étendue que chez les humains.

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> Amour
Deux pigeons peuvent-ils s’aimer d’amour tendre ?

« Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre », écrit le poète. On dit des amoureux qu’ils se bécotent, ou qu’ils roucoulent. L’analogie entre volatiles et amoureux provient du fait que 90 % des espèces d’oiseaux vivent en couples monogames. Et tout fait penser dans leur comportement à ce qui ressemble à un scénario amoureux : la parade des mâles, leur chant de séduction, les petits cadeaux que l’on fait aux femelles pour les séduire. Quand le couple est formé, les séances de bécotage peuvent commencer. Ne serait-ce qu’une analogie superficielle ? Est-ce un péché d’anthropomorphisme* que de penser qu’ils puissent nourrir des sentiments amoureux ? Pendant longtemps, la question a été vite tranchée. Rien ne prouvait que les animaux n’éprouvent d’autres sentiments que des émotions de base (peur, colère ou dégoût). Concernant les « émotions sociales » (attachement, amitié ou amour), on a admis que cela vallait uniquement pour les mammifères disposant du cerveau mammalien constitué du fameux système limbique, siège de ces émotions.

Mais les oiseaux ? Pourtant ils vivent bien en couples, s’occupent de leurs petits avec soin, les défendent contre les agresseurs et les mâles sont beaucoup plus investis dans la parenté que la plupart des papas mammifères.

Des perroquets jaloux

La difficulté à accepter l’analogie entre oiseaux et humains provient du fait qu’ils appartiennent à des phylums très éloignés dans l’évolution : les oiseaux sont de lointains descendants de dinosaures volants. À ce titre on leur a longtemps attribué un cerveau « reptilien » tout juste bon à quelques réactions instinctives. Mais les choses ont beaucoup changé ces dernières années. Tout d’abord, la fameuse théorie des trois cerveaux n’est plus de mise 1. De plus, on constate que certains oiseaux possèdent des capacités cognitives très développées. Les performances des corbeaux par exemple n’ont rien à envier à celles des primates en matière d’intelligence technique ou sociale 2. Alors pourquoi pas sur le plan émotionnel ? S’il est difficile de trancher sur ce que ressentent vraiment les oiseaux, certaines observations sont troublantes : la jalousie des perroquets en est un bon exemple.

Les perroquets, qui vivent en couples stables, sont d’une jalousie légendaire. Lorsqu’un autre oiseau vient tourner autour de l’un, l’autre à tôt fait de montrer son mécontentement et chasser l’intrus(e). Cette jalousie maladive s’exprime aussi envers les humains parfois victimes de leur courroux. De nombreux témoignages l'attestent :

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« Mon perroquet est jaloux quand je cajole mon mari, mon enfant, mon chien, mon second perroquet, etc. Il est jaloux quand je discute avec ma voisine, ma mère, mon conjoint, etc. Mon perroquet est jaloux quand j’offre un jouet à mon enfant, à mon chien, à mes autres perroquets, etc. Mon perroquet est jaloux quand je travaille à l’ordinateur, quand je parle au téléphone… En fait, mon perroquet est jaloux de toute attention que je porte à autrui ou à un objet qui n’est pas lui » (Johanne Vaillancourt) 3.

Oui, les perroquets sont jaloux, farouchement jaloux. Chiens et chats savent aussi montrer le même sentiment à leur maître. Si les perroquets son jaloux, pourquoi les pigeons ne pourraient-ils pas s’aimer d’amour tendre ?

Généralisons. En 2007, Laurent Charbonnier a réalisé le documentaire Les Animaux amoureux. Sur l’affiche du film, on voit un couple de kangourous s’embrasser alors que l’un d’entre eux pose délicatement sa patte sur l’épaule de l’autre 4. Artifice de documentariste ? Nombre de spécialistes admettent désormais l’existence du sentiment amoureux, avec ce que cela comporte : coup de foudre, séance de bécotage, tendres moments passés ensemble et signes de détresse quand l’autre est absent. Et bien sûr jalousie à l’approche d’un rival. Les animaux peuvent connaître l’amour. L’amour romantique, pas simplement l’envie de copuler.

Le french kiss des chimpanzés

L’anthropologue Helen Fisher a rassemblé de nombreuses observations éthologiques qui invitent à penser que l’amour passionnel n’est pas une exclusivité humaine. Selon elle, beaucoup d’animaux présentent toute la gamme des comportements qui évoquent l’amour. Il y a d’abord le choix sélectif du partenaire : les éthologues ont montré depuis les années 1980 que chez les oiseaux, les primates, les loups, et d’autres encore, les femelles ne sont pas passives et ne se donnent pas au premier venu sous la seule emprise de leurs « chaleurs » : elles marquent leur préférence, observent, choisissent les uns et refusent les autres. Il existe de véritables « coups de foudre » entre certains. Puis viennent les tendres moments : deux belettes qui viennent de former un couple bondissent l’une contre l’autre et se roulent ensemble dans l’herbe. Les couples de castors aiment dormir blottis l’un contre l’autre et se retrouvent à intervalles réguliers pour se toiletter mutuellement ou juste s’asseoir côte à côte un moment. H. Fisher évoque aussi « les couples de marsouins communs qui nagent ensemble, parfois l’un contre l’autre, se bécotant ou se donnant à manger l’un l’autre. Les chimpanzés qui se serrent dans les bras, se caressent. Ils pratiquent même le french kiss, puisqu’ils s’embrassent avec la langue 5 ».