Anciens pays communistes, dix ans de transition

Il y a une dizaine d'années, beaucoup escomptaient une marche forcée des anciennes économies communistes vers l'économie de marché. C'était sous-estimer les facteurs d'inertie hérités de la période soviétique mais aussi les effets pervers induits par le processus de transition.

La chute du mur de Berlin, en 1989, suivie de l'effondrement des régimes communistes de l'ex-bloc soviétique, avait fait naître l'espoir d'une transition rapide des anciennes économies socialistes vers une économie de marché. Dix ans après, force est de constater que le bilan des anciennes économies communistes (AEC) est à la fois mitigé et contrasté. La diversité des cheminements est grande entre les PEC, pays d'Europe centrale (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie), les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), les pays du sud-est européen (PSE, soit Albanie, Bulgarie, Roumanie, ex-Yougoslavie sauf la Slovénie), enfin les NEI, Nouveaux Etats indépendants membres de la Communauté des Etats indépendants (CEI, soit Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie, Ouzbékistan, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine) et au sein de chacun de ces ensembles régionaux.

Dans la plupart de ces pays, le volontarisme politique s'est heurté à une inertie au changement enracinée dans les structures et les comportements économiques hérités de l'ancien système. Il en résulte la nécessité d'une deuxième phase de transformation, dont l'ampleur varie selon que l'on considère les futurs membres de l'Union européenne, les candidats à l'adhésion ou les Nouveaux Etats indépendants partis à la dérive vers une sorte de « capitalisme des copains ou des escrocs »1.

La dynamique des changements

Mais avant de préciser le contenu de cette deuxième phase, il convient de revenir sur la dynamique des changements intervenus dans les anciennes économies communistes au cours des années 90. Cette dynamique a reposé sur au moins quatre priorités.

En 1989, ces économies étaient toutes confrontées à un ralentissement de leur croissance, une baisse de leur production industrielle et agricole, des pénuries aggravées, une forte inflation, un déficit budgétaire et une dette extérieure élevée. La première priorité a donc été la stabilisation macro-économique.

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Toutes les AEC se sont ainsi lancées, avec le soutien du Fonds monétaire international (FMI), dans des programmes destinés à diminuer les déficits budgétaires, à faciliter les investissements directs étrangers, à réduire leur déficit commercial (dévaluation de la monnaie)... ; toutes ont tenté de stabiliser leur taux de change en vue de la convertibilité de leur monnaie et ont procédé à une libéralisation des prix, de leur commerce intérieur (abandon de la planification) et des échanges extérieurs (abandon du monopole de l'Etat sur le commerce extérieur), et enfin à une désindexation partielle des salaires et des retraites par rapport aux prix.

Ces programmes ont été appliqués avec une vitesse et une intensité variables selon les pays. D'où, au début des années 90, le débat animé entre les partisans de la thérapie de choc et ceux du gradualisme, autrement dit d'une stabilisation plus graduelle, débat aujourd'hui totalement dépassé par la réalité.

La Hongrie, modèle du gradualisme en 1990, a appliqué en 1995 une thérapie de choc pour juguler son double déficit budgétaire et extérieur, alors que la Pologne, célèbre pour sa thérapie de choc initiale, a mené en 1993-1997 une politique de relance de la croissance. De même, après avoir opté pour une politique graduelle, la Roumanie est entrée en thérapie de choc en 1997. Alors qu'en Lettonie, un programme de relance des investissements a succédé à une politique restrictive en 1995. Seule l'Estonie a maintenu durablement une thérapie de choc depuis 1992.

Cette alternance des politiques économiques s'explique ainsi : d'un côté, les créanciers des anciennes économies communistes sont attentifs à la stabilisation des variables nominales (taux d'inflation, taux d'intérêt, déficit budgétaire, dette publique), ce qui favorise l'adoption d'une politique restrictive, laquelle détériore les variables réelles (taux de croissance, taux de chômage).

D'un autre côté, le processus de rattrapage économique des pays d'Europe centrale et orientale vis-à-vis de l'Union européenne, susceptible d'amoindrir le coût de leur adhésion, exige une amélioration des variables réelles et pousse à l'adoption de mesures de relance économique 2. Quelque peu inflationnistes, ces mesures freinent la convergence nominale de ces pays vers les critères de Maastricht...

Coïncidant souvent avec les alternances politiques dans ces nouvelles démocraties, l'alternance entre politique économique restrictive et relance de la croissance (stop and go) est allée à l'encontre des recommandations du FMI. Elle n'en a pas moins eu des résultats probants.

Les taux d'inflation de 1990-1992, à deux ou trois chiffres, ont aujourd'hui disparu dans la plupart des anciennes économies communistes, et ne restent élevés qu'en Roumanie (59 %) et dans plusieurs NEI (73 % en Belarus, 28 % en Russie fin 1998). Les taux de chômage se sont stabilisés dans les pays d'Europe centrale et les pays baltes à des niveaux élevés, en fait proches de ceux des pays occidentaux. Ajoutés à la hausse de la productivité du travail et des salaires réels depuis 1993, ils indiquent une tendance à la convergence économique réelle de ces pays vers l'Union européenne.