L'impossible retour ?

Les romans comme les sciences humaines aiment évoquer l’audace de ceux qui partent à la recherche d’une nouvelle vie. Ils parlent peu de ceux qui rentrent et peinent à réintégrer leur place.

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Pourquoi revenir est-il tellement plus difficile que partir ? La dissymétrie entre les deux verbes s’observe dans la différence des termes qui caractérisent celui qui part et celui qui revient. S’il accomplit son désir d’élargir l’horizon, le premier est un « voyageur », un « explorateur », un « découvreur », un « aventurier »… ; celui qui part sous la contrainte, lui, est un « expatrié », un « exilé », un « migrant », un « émigré », un « déplacé », un « réfugié », etc. Chacun de ces noms renvoie à une situation politique et humaine tout à fait singulière qui demande à chaque fois à être pensée, comme le rappelle Hannah Arendt 1. Mais ceux qui reviennent, quel nom leur donner ?

En français, « revenant » est probablement trop spectral, même si l’aspect fantomatique indique déjà que « celui qui revient » revient de loin ; pour le « rapatrié », le retour ne relève pas de sa décision ; quant au « rescapé », c’est d’une épreuve passée, de ce à quoi il a réchappé dont il est question, plus que du retour. Celui qui revient ne se fait-il pas qualifier d’« Ulysse », de « fils prodigue », voire de « ressuscité » ? N’y a-t-il que le mythe qui puisse suggérer les épreuves endurées ?

Cette dissymétrie se retrouve dans toutes les langues, qui insistent tantôt sur le lieu dans lequel on revient (Heimkehr, homecoming), tantôt sur le renversement du « tour » qui se produit dans le retour (volver). On ne revient pas sur ses pas comme si on parcourait en sens inverse le chemin qu’on a déjà effectué. Là où, dans l’espace, les trajets sont réversibles (on peut revenir au même endroit), dans le temps, au contraire, il est impossible de revenir en arrière. Vladimir Jankélévitch a longuement médité sur cette dissymétrie entre l’espace et le temps du retour. Le retour fait vivre de plein fouet le temps comme irréversible, incompressible et inaccélérable ; impossible, pour nous, de remonter dans le temps, car le temps va « de l’avant », malgré toute l’énergie que nous déployons pour le ralentir, le nier ou le neutraliser (grâce au rajeunissement, au ralentissement du vieillissement, à la conservation, au mystère de la « résurrection », au retour éternel, etc.) 2.