Avant de devenir un grand nom parmi les préhistoriens, André Leroi-Gourhan s’est permis quelques détours. Autodidacte, il a quitté l’école très tôt pour devenir apprenti. Puis il suit les cours de l’École nationale des langues orientales, où il passe des diplômes de russe (1931) et de chinois (1932). Il séjourne deux ans au Japon de 1936 à 1938, puis entre au CNRS en 1940. Après la guerre, il soutient sa thèse, puis est nommé en 1946 sous-directeur du musée de l’Homme, En 1956, il occupe la chaire d’ethnologie et préhistoire à la Sorbonne. Douze ans plus tard, il est élu au Collège de France et y enseigne la préhistoire. Entre-temps, il a publié l’essentiel des travaux de recherche qui feront de lui un novateur en matière de préhistoire humaine, et un modèle pour plusieurs générations d’archéologues et anthropologues.
De la technique à l’art préhistorique
« Je cherche des hommes et non des pierres », aimait à dire Leroi-Gourhan. Dans L’Homme et la Matière (1943) et Milieu et techniques (1945), il considère conjointement les deux plans sur lesquels l’homme se distingue des autres espèces vivantes : l’outil et l’usage des symboles (dont le langage). Leur développement simultané par l’espèce humaine n’a pas pu être fortuit, et son projet est précisément de comprendre comment l’évolution des techniques et celle des aptitudes mentales se sont appuyées l’une l’autre. Dans Technique et langage (1964), premier volume du Geste et la Parole, Leroi-Gourhan présente une interprétation sophistiquée du processus d’hominisation. Il montre l’articulation entre la position debout, la libération de la main et la position du crâne : la main s’est affranchie grâce à l’outil, ce qui a permis une transformation des muscles du cou et du crâne, un raccourcissement de la face, une augmentation de la capacité crânienne, le développement du cerveau et, partant, la compétence symbolique. Le second volume, La Mémoire et les Rythmes (1965), présente l’évolution technique comme un dépassement de l’évolution biologique : symboles et rythmes sont associés à la maîtrise collective de l’espace et du temps.