Mésopotamie, 2e millénaire av. J.C. De petites tablettes sur lesquelles sont imprimés des signes cunéiformes (icono 1) comblent les brèches des murs de quelques maisons. Une collection d’écrits courts et simples, sur une argile qui n’a pas été cuite car elle était destinée à être détruite. Les tablettes ont trouvé une seconde vie dans les cloisons fissurées et sont parvenues ainsi aux archéologues. Elles servaient de support aux exercices d’écriture des apprentis scribes : sur une boule d’argile aplatie, ils imprimaient quelques caractères cunéiformes avant d’effacer et de recommencer. Écrire, ça s’apprend depuis des milliers d’années.
Dessiner les mots
L’écriture naît pour la première fois autour de 3300 av. J.C., entre le Tigre et l’Euphrate. Des formes de clous sont imprimées sur de l’argile, ressource alors abondante en Mésopotamie. Cette écriture cunéiforme a été précédée quelque temps auparavant par une série de pictogrammes représentant les mots. Chacun de ces dessins figurait un mot et un seul, de façon plus ou moins représentative : on esquissait un poisson pour dire poisson, une croix dans un cercle pour dire mouton. Apprendre à écrire, c’était donc apprendre à dessiner.
En Mésopotamie, les scribes s’exerçaient à l’écriture pictographique sur des tablettes d’argile, comme ils le feront plus tard avec les signes cunéiformes. C’est ce support qui va déterminer la transition des pictogrammes vers l’écriture alphabétique. En effet, dessiner des courbes prend du temps, et le geste n’est pas aisé. Peu à peu, les traits arrondis se transforment en une succession de segments, tracés rapidement avec une baguette en roseau. Le dessin de poisson devient ainsi une combinaison de clous, et ressemble de moins en moins à un poisson. L’écriture cunéiforme naît de cette transformation. Les signes n’ont plus rien de commun avec ce qu’ils représentent, et l’apprentissage de l’écriture s’en trouve révolutionné. Au lieu d’apprendre à dessiner, il va falloir apprendre un alphabet.
L’école des apprentis écrivains
Pour apprendre une écriture alphabétique, il faut d’abord maîtriser le signe, la lettre. Les travaux de Cécile Michel, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’écriture cunéiforme, mettent en évidence une première étape de formation technique des scribes : « Les élèves scribes de Babylonie commençaient par apprendre à former une tablette d’argile, puis à manier le stylet, avant de former les trois signes de base qui sont le clou vertical, le clou horizontal et la tête de clou. Ils pouvaient ensuite écrire tous les caractères cunéiformes. » Cette importance accordée au geste se retrouve bien plus tard, dans la France de la Renaissance. Les maîtres-écrivains apprennent à leurs disciples la maîtrise de la plume d’oie. Le modèle, en tant que canon d’écriture, occupe alors une place prépondérante dans la transmission. Depuis le 14e siècle et jusqu’au 19e au moins, l’élève apprend à reproduire fidèlement ce qu’on nomme (au féminin) « une exemple », produite par son maître-écrivain (icono 2). Elle contient des textes, mais aussi, pour se familiariser avec les lettres, des abécédaires. Ces derniers constituent un exercice répandu, y compris dans d’autres civilisations, comme les Gaulois, qui utilisaient les caractères grecs avant l’arrivée des Romains. Michel Bats, archéologue spécialiste des civilisations antiques en Méditerranée, l’a découvert sur des vestiges d’assiettes et de bols : « Nous avons trouvé deux abécédaires grecs à Lattes, dans l’Hérault. Sur l’un d’eux, on trouve un mot que les Grecs n’utilisaient pas, knax, qui signifierait lait. Il s’agit du début d’un pangramme, une série de mots qui comporte toutes les lettres de l’alphabet. » (icono 3) Les scribes quant à eux produisent surtout des syllabaires (tu-ta-ti, etc.), avant d’apprendre de très longues listes de vocabulaire, et enfin quelques proverbes tels que « le scribe expert en écriture est déficient en calcul ».