Apprendre à parler : marathon ou promenade de santé ?

Paradoxe ! L’apprentissage du langage est une prouesse cognitive, mais réalisée spontanément et sans méthode. Et chaque enfant suit ce long chemin à son rythme, suivant son enthousiasme et son environnement.

Il parle ! Avant la troisième année, la communication verbale devient possible et de plus en plus riche. C’est l’une des grandes acquisitions de la vie, et qui se déroule sans méthode d’apprentissage particulière. L’enfant apprend tout seul. Mais comment fait-il pour maîtriser un volume croissant de vocabulaire et la grammaire complexe de notre langue, mais aussi improviser des phrases nouvelles qui n’appartiennent qu’à lui ? Pédopsychiatres, neuropédiatres et psycholinguistes se penchent sur ce mystère depuis les années 1970 pour découvrir la boîte à outils cognitifs des tout-petits.

Des parleurs nés !

De longs mois séparent le cri du nouveau-né, du premier mot prononcé. Mais avant ce grand jour, le bébé n’en perd pas une miette. Projeté dans un bain sonore extraordinairement dense et complexe à la naissance, il se repère très vite pour capter la parole, et plus particulièrement la voix de sa mère. Question de survie ! Il est sensible à son timbre, mais aussi au rythme d’élocution qui lui est propre. On le sait car le fameux test de la succion – tétine connectée dans la bouche – l’a prouvé. Le tout-petit ne tète pas de la même manière selon la nature du bruit environnant, le flot de paroles entendues, et même les syllabes auxquelles il réagit dès l’âge d’un mois. « Il différencie également sa langue maternelle de toutes les autres et il a une perception universelle des sons de la parole », explique Sharon Paperkamp, directrice de recherche au CNRS au sein du laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistiques (LSCP). Un sacré atout pour devenir bilingue sans aucune difficulté, à condition d’être vraiment en contact quotidiennement avec deux langues différentes. Car deux conditions doivent être remplies pour apprendre à parler, ajoute la chercheuse : « L’exposition soutenue à une ou plusieurs langues, donc, mais aussi le fait d’être doté d’un mécanisme d’acquisition spécialisé. » Et celui-ci est propre à l’être humain, comme l’ont montré par défaut maintes recherches sur l’impossible transmission de notre langage aux chimpanzés dans les années 1960, indépendamment de leur appareil phonatoire qui empêche la prononciation, rappelle-t-elle. Les singes ne parviennent pas à former des phrases, même en s’appuyant sur la langue des signes.

Le petit homme, lui, va bientôt réussir cet exploit oralement. Mais il doit d’abord apprendre à décoder les messages : après avoir mené une première mission de reconnaissance des sons, il se fait détective. L’objectif est de repérer les phonèmes récurrents qui permettent de séquencer une phrase en unités de sons et de sens. Et procéder aux bons découpages, c’est la condition sine qua none de l’apprentissage des mots. Ainsi, quand le bébé entend, par exemple, « voilalebiberon », ou « lebiberonsurlatable », il doit isoler « biberon » et ne pas se focaliser sur « voilalebi » ou « bronsur ». Pas évident, car à l’oral, aucune pause ne segmente nettement les mots, contrairement à l’écrit, avec ses espaces blancs. L’enfant y parvient pourtant progressivement. « Dès 4-5 mois, les bébés reconnaissent les patrons sonores constituant leur prénom et réagissent aux prononciations incorrectes, avant de comprendre le sens de maman et papa vers 6 mois, puis quelques mots liés à la nourriture et aux parties du corps, comme une récente étude l’a montré » 1, explique encore Sharon Paperkamp. La récurrence des mots facilite leur repérage, mais pas seulement. Le fait que les parents touchent, pointent du doigt ou du regard un objet, une partie du corps en la nommant, aide aussi. Comme d’adapter leur prononciation en modulant le rythme de la parole, en accentuant certains mots lorsqu’ils s’adressent au bébé.