Dans l’univers des bandes, l’usage des violences verbales ou physiques peut avoir différentes significations et finalités qui s’entrecroisent très souvent. Par violences, on peut entendre aussi bien les coups, les menaces, brimades et autres intimidations. Se battre contre des groupes rivaux, racketter ou humilier régulièrement des lycéens ou des commerçants, mettre « la pression » à des résidents excédés par le bruit…, sont des facettes différentes de l’activité transgressive et agressive des bandes (par opposition aux formes plus conformes, voire positives, de leurs attitudes).
Les conduites violentes les plus quotidiennes s’inscrivent le plus souvent dans les relations sociales de proximité. En effet, les bandes sont un produit de la ségrégation sociale, spatiale et scolaire. Elles s’inscrivent dans un territoire (entrées d’immeubles, parkings, zones commerciales des cités…) qui constitue pour ces groupes un lieu de vie et de socialisation, d’identification et d’expression. Ce dernier point interroge les relations entretenues entre ces groupes et leur environnement immédiat. Ces relations conflictuelles routinières montrent que tout un ensemble de conduites violentes repose sur des enjeux de pouvoir, sous-tendus par plusieurs caractéristiques.
• Le contrôle du territoire, une violence hégémonique. L’ancrage et les activités des bandes (comme le commerce illégal de drogues ou de matériels divers) nécessitent de gérer à la fois la méfiance des habitants et la surveillance policière. Il leur faut donc imposer leur présence à la frange hostile du voisinage tout en limitant leurs velléités de collaboration avec les forces de police.
• L’affirmation de la virilité, une violence sexiste. Le phénomène des bandes se conjugue au masculin pluriel. Les filles dans les bandes ou les bandes de filles sont rares. Dans la rue, leur présence est discrète, secondaire et éphémère. L’univers des bandes repose sur une naturalisation de l’infériorité féminine, la domination masculine fait partie d’un ordre qui ne se questionne pas, en tout cas en public. Si elle a toujours existé, cette posture viriliste s’est considérablement durcie au cours des dernières décennies sous l’effet du chômage, de la féminisation du salariat et de la dévalorisation de la force physique dans les milieux populaires 1. Elle se manifeste par des scènes d’apostrophes plus ou moins rugueuses envers les filles ou de garçons distants de la rue, d’intimidations ou de violences, généralement verbales mais pouvant prendre la forme de l’agression physique, sans se réduire toutefois à la forme exceptionnelle et hypermédiatisée du viol en réunion 2.
• Les vols, une violence de frustration. C’est à travers les vols que la banalisation de la délinquance s’effectue dans les bandes. Il s’agit là d’une délinquance endémique que ces groupes systématisent et pérennisent. La délinquance acquisitive est la principale catégorie d’infractions enregistrées chez les jeunes. On y retrouve ce que l’Américain Robert K. Merton décrivait comme un « mécanisme de la frustration relative ». Les bandes offrent les moyens de survivre, de consommer ou de s’enrichir, c’est-à-dire de réduire les frustrations nées d’un écart mal supporté entre les objectifs sociaux et les moyens pour y parvenir 3.