Vous êtes en train de regarder un écran de télévision. On vous a demandé d’observer attentivement l’action qui se déroule : deux équipes de trois joueurs s’échangent un ballon de basket. Votre tâche car vous participiez à une expérience de psychologie est simple : compter le nombre de passes de l’une des équipes et ignorer les passes de l’autre équipe. La vidéo se termine et l’on vous demande d’indiquer le résultat. Au final, cela n’a aucune importance. Ce que les auteurs de cette étude cherchent à savoir c’est si vous avez vu le gorille ! En effet, au milieu de la vidéo une étudiante déguisée avec un costume de gorille fait son apparition, s’arrête au milieu des joueurs puis sort du cadre. Neuf secondes d’apparition « d’un gorille ». Et un gorille que la moitié des participants de Simons et Chabris ne voit pas ! Cette erreur de perception est appelée cécité d’inattention. Vous étiez tellement concentré sur votre tâche que vous avez été « aveugle » au gorille juste sous votre nez. Mais le plus surprenant c’est que « nous supposons que des objets visuellement distinctifs ou inhabituels attireront notre attention [alors qu’] en réalité ils passent souvent complètement inaperçus ».
Jugements sociaux
Cet exemple classique illustre parfaitement l’étude des processus cognitifs impliqués dans le traitement des informations et, de manière plus générale, l’approche de la cognition sociale. À quoi correspond cette dernière ? Il s’agit de l’étude de « la façon dont le commun des mortels pense au sujet des gens et comment il pense qu’il pense au sujet des gens » d’après les psychologues Susan Fiske et Shelley Taylor. Pour quiconque connaît un peu la psychologie sociale, cela ne paraîtra a priori ni nouveau ni révolutionnaire.
En effet, dès 1946, Solomon Asch étudie la formation d’impressions. Il propose dans une expérience célèbre une liste de sept caractéristiques d’un individu hypothétique. Celui-ci est décrit, pour la moitié des participants, comme « intelligent, adroit, travailleur, chaleureux, déterminé, pratique et prudent » alors que pour l’autre moitié des participants l’adjectif « chaleureux » est remplacé par l’adjectif « froid ». La tâche consiste à rédiger une description générale de cette personne. Les résultats montrent que le changement d’une seule caractéristique – ici « chaleureux » / « froid » – conduit à des impressions complètement différentes, même si tous les traits n’ont pas la même importance. Dans l’expérience d’Asch, les participants qui pensaient avoir affaire à quelqu’un de « chaleureux » le décrivaient ensuite comme « heureux », « ayant du succès » ou encore « généreux », à l’inverse de l’individu présenté notamment comme « froid ». Fortement influencé par la théorie de la forme (Gestalt), Asch constatait le phénomène sans réellement pouvoir l’expliquer. On était pourtant encore loin de l’étude des processus cognitifs.
: – Bargh, J. A., Chen, M., & Burrows, L. (1996). « Automaticity of social behavior : Direct effects of trait construct and stereotype activation on action ». 71 (2), 230. – Darley, J. M., & Gross, P. H. (1983). « A hypothesis-confirming bias in labeling effects ». , 44 (1), 20. – Doyen S, Klein O, Pichon C-L, Cleeremans A (2012). « Behavioral Priming : It’s All in the Mind, but Whose Mind ? » , 7 (1): e29081. – Ric, F. & Muller, D. (2017). Grenoble, Presses universitaires de Grenoble