Certaines personnes ont une sensation étrange lorsqu’elles empruntent un escalator cassé : elles ont beau savoir qu’il est à l’arrêt, se dire que c’est comme un escalier classique, elles éprouvent un déséquilibre lorsqu’elles posent le pied dessus. Ce phénomène dit « de l’escalator cassé » a notamment été étudié par des neurologues américains depuis les années 2000 1. Il semble témoigner d’une dissociation entre les systèmes sensori-moteur et cognitif : le corps persiste à anticiper un mouvement et à adapter sa posture en vue de garder son équilibre, alors que l’esprit lui dit que ça ne sert à rien et que cela risque même d’entraîner une chute ! En extrapolant, ce phénomène pourrait en dire long sur les limites de l’autocritique et du self-control. Nous pouvons à la fois savoir que nous sommes faillibles, biaisés, que notre perception des choses ou notre façon de penser nous jouent des tours, etc., et en même temps rester incapables de contrebalancer tout ou partie de ces illusions.
Prendre conscience par soi-même de nos biais cognitifs est pourtant l’un des premiers leviers pour s’en défaire, estime le chercheur en psychologie sociale Pascal Wagner-Egger 2. Prenons le biais de confirmation par exemple, souvent considéré comme un des plus puissants : chacun peut facilement comprendre et vérifier qu’il accorde davantage d’attention aux informations confortant ses opinions, au risque d’occulter des faits allant à leur encontre. Ce constat pourrait nous faire prendre conscience que nous avons rarement une vision d’ensemble, nous amener à faire preuve de plus d’humilité – notamment lors de discussions politiques houleuses… – et nous encourager à consulter volontairement davantage de sources et d’idées contradictoires.