Quoique ambigu, le terme de « croyance » est spontanément frappé d'une connotation dépréciative. Qualifier de croyance une opinion, une idée ou une thèse, c'est en général vouloir lui ôter toute crédibilité et présupposer l'incertitude voire le manque de sérieux. L'irrationnel ne semble plus très loin et la croyance en question rejoint alors une farandole fantaisiste en étant reléguée du côté de la sorcellerie, des ectoplasmes, de la numérologie ou des extraterrestres... Dommage sans aucun doute, car du même coup, la qualification de croyance met fin à tout examen. La messe est dite : « C'est une croyance » semble sous-entendre « c'est faux ». Bien sûr, il est certaines croyances que l'on juge plus respectables, parce qu'elles semblent échapper par nature à la question du vrai ou du faux, étant entendu qu'elles touchent à des questions indécidables. Tel est le cas des croyances religieuses. La raison en est sans doute que les croyances religieuses ont perdu toute prétention de démonstration à proprement parler. Pendant longtemps, on a cherché à faire la preuve de manière définitive de l'existence de Dieu. Au xviiie siècle, Emmanuel Kant a donné un véritable coup d'arrêt à ces tentatives, non en voulant annihiler les croyances mais en leur offrant un asile. En soutenant que tout ce qui dépassait les limites de l'expérience n'était pas connaissable, il les mettait en effet à l'abri de la raison : « Il me fallait donc mettre de côté le savoir afin d'obtenir de la place pour la croyance 1. » En limitant le savoir, il promouvait la croyance sur les questions métaphysiques.
La croyance ne peut pas être appréhendée seulement du point de vue de sa vérité. Il y a du reste des croyances vraies (ainsi si je crois que ce champignon est vénéneux, et cela se trouve être le cas, non pas parce que j'ai des connaissances réelles sur les champignons mais tout simplement parce qu'on m'a dit que ce type de champignons était vénéneux) tout comme il y a des croyances fausses (croire que la Terre est plate par exemple). Croire, c'est donner son assentiment à une représentation ou à un jugement dont la vérité n'est pas garantie. « Humain, trop humain »..., nous sommes souvent condamnés à croire là où nous n'avons pas les moyens de savoir. Le sentiment subjectif qui caractérise la croyance peut être plus ou moins fort : quand je dis « je crois en l'existence de Dieu » ou « je crois qu'il fera beau demain », la forme de confiance engagée n'est bien sûr pas la même. En tout cas, ce n'est pas la vérité ou la fausseté qui la caractérise, et les sciences humaines s'avèrent fructueuses quand elles abordent les croyances indépendamment de leur rapport à la vérité proprement dite.
Les croyances en disent long sur nos sociétés et ont une histoire. Elles sont le reflet de nos préoccupations, de notre « image du monde » et de notre organisation sociale. En ce sens, toutes doivent être prises au sérieux. Si l'anthropologie s'est beaucoup intéressée aux croyances des sociétés lointaines et l'histoire à celles du passé, il s'avère également indispensable d'interroger nos croyances d'aujourd'hui afin de mieux comprendre le monde contemporain.
Battons d'emblée en brèche un préjugé : les croyances ne disparaissent pas avec les progrès de la science. Comme le montre le sociologue Gérald Bronner (voir l'article, p. 32), les sociétés contemporaines ne croient pas moins qu'hier. Certaines croyances perdent du terrain et parfois meurent, mais d'autres naissent. Au xixe siècle, le progrès scientifique semblait être à même de les faire reculer. Belle illusion : les croyances modernes se nourrissent également parfois de la science et des innovations scientifiques qui élargissent les limites du concevable. Ainsi, les récentes recherches sur le clonage, notamment humain, alimentent aujourd'hui bien des croyances fantasmatiques, puisque certains y voient même la perspective d'une certaine forme d'immortalité. En outre, l'information disponible est croissante mais n'a pas pour corollaire une diminution de la croyance. La surabondance même de l'information rend sa vérification difficile.