Entre autobiographie, reportage et récit historique, l'ouvrage est à l'image de son auteur : inclassable. Fils d'ouvriers, Mike Davis, sillonna les routes de l'est des Etats-Unis comme... camionneur, avant de reprendre ses études à la prestigieuse UCLA (University of California, Los Angeles). L'analyse qu'il livre ici part d'un paradoxe : en 1914, la ville ne comptait « que » 300 000 habitants ; en l'absence de ressources naturelles, elle est depuis parvenue à se hisser parmi les toutes premières villes américaines, avec ses quelque 20 millions d'habitants, en incarnant tout à la fois la « capitale du futur » (sous-titre de l'ouvrage) et la postmodernité. A quoi est due cette métamorphose ? C'est ce qu'entreprend d'expliquer Davis en explorant les mythes successifs et souvent contradictoires produits aussi bien par des utopistes que par les intellectuels, les cinéastes sans oublier le discours publicitaire des promoteurs immobiliers. De cette ville de lumière, Davis donne encore à voir les faces les plus sombres (l'économie de la drogue, les guerres de gangs...) qui contribuent aussi au mythe... Publié en 1990, l'ouvrage reçut d'emblée la reconnaissance du monde académique américain (le prestigieux Best Book Award de l'association américaine de science sociale lui fut décerné). Il faut cependant attendre sept ans pour qu'il soit traduit en français. Entre-temps, en 1992, survenaient à Los Angeles les plus grandes émeutes qu'ont connues les Etats-Unis depuis celles de Watts en 1965. Un scénario que les producteurs d'Hollywood n'avaient pas prévu et qui, pourtant, avait été annoncé de manière prémonitoire dans le chapitre iv de l'ouvrage (« Forteresse L. A. ») qui décrit les dérives liées à la privatisation et la militarisation de l'espace public dont la ville était le théâtre.
JOHANNA SIMÉANT
Professeur de science politique à la faculté de droit et de science politique de La Rochelle, auteur de La Cause des sans-papiers, Presses de Science Po, 1998.