On entend souvent parler de « crise de la quarantaine » ou de « crise de la cinquantaine », mais il existe peu d’ouvrages ou de débats sur ce thème. Cette crise existe-t-elle vraiment ou est-ce une légende urbaine ?
Dans le langage courant, on parle en effet de cette période avec beaucoup de caricatures, de représentations assez fausses. Il se trouve que l’on identifie assez clairement les grandes transitions de vie, comme le passage de l’enfance à l’adolescence, la grande adolescence, le passage à la maternité ou à la retraite, car il existe des balisages socialement bien identifiés pour ces périodes de vie. Pour ce qui est de ce que j’appelle plutôt la « transition du milieu de la vie », c’est très différent : c’est un processus intérieur, d’une extrême subjectivité qui n’est pas socialement ritualisé. Ce n’est pas pour autant que ce n’est pas une réalité. C’est un passage particulier et parfois compliqué, mais il est difficile d’en parler car on ne voit pas sur quoi s’appuyer pour expliquer ce ressenti intérieur, de surcroît assez flou.
Pourquoi tant de gens remettent-ils tant de choses en question au milieu de leur vie ?
Dans la première partie de la vie, on se construit selon les attentes implicites ou explicites de notre société, parents, professeurs, hiérarchie, famille. Parfois même, paradoxalement, selon des demandes implicites de la société de ne pas être en plein développement de notre potentiel : il faut être raisonnable, suivre des chemins sûrs, beaucoup plus en fonction de ce que l’on attend de nous que de ce que nous dit notre voix intérieure, qui, elle, se réveille au milieu de la vie. Jusque-là, on a été dans l’accommodation par rapport à la nécessité de trouver notre place dans le monde pour y vivre, aimer et être aimé.
Après – et c’est le processus d’individuation que décrit Jung – vient une étape : on commence à sentir intuitivement que des choses ne fonctionnent plus tout à fait, mais on reste encore dans la dynamique initiale en continuant à jouer avec les règles de la première moitié de vie. C’est la période où l’on essaie de nier ces signaux intérieurs. Puis ces signaux deviennent si évidents – souvent d’ailleurs on somatise, le corps parle –, si manifestes, que l’on ne peut plus vraiment nier la situation, ce qui aboutit à une prise de conscience. Que faire de ces signaux ? Que se passe-t-il exactement ? La dernière étape consiste à trouver un nouvel équilibre qui soit la synthèse de ce que l’on a été, de ce que l’on est en train de devenir et de ce que l’on souhaite devenir. Il faut accepter des renoncements nécessaires pour pouvoir passer à autre chose. On ne peut plus fonctionner comme avant mais pas forcément en termes d’appauvrissement, bien au contraire.