Bien manger pour bien produire

À l’heure du bio et des OGM, du bien-être animal et du réchauffement climatique, il est urgent de mieux s’informer sur la complexité des processus qui vont de la glaise aux papilles. Car le bien-manger a le potentiel de métamorphoser l’agriculture…

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Qu’est-ce que « bien manger » ? Cette question pourrait être reformulée et déclinée de multiples manières. Par exemple, quand un agriculteur demande au pédologue « qu’est-ce qu’un bon sol ? », il agit de la même façon que le consommateur s’informant sur ce qui est bon à mettre dans son assiette : il pose une question qui ne peut pas avoir de réponse. Il n’existe pas de bon sol, mais un sol qui correspond à un usage. De même, il n’existe pas de bon ou de mauvais aliment, mais un aliment qui reflète notre mode de vie.

Voilà un aspect des choses qu’il faut avoir en tête lorsqu’on débat sur le bien-manger. Manger, c’est faire appel à un pays, un paysan, des variétés et des races. C’est donc, forcément, dessiner un paysage, c’est une façon d’aménager le territoire. Faire ses courses est une manière de dire à nos élus et au marché le monde dans lequel on a envie de vivre. Pour autant, en le voyant comme cela, on ne fait que déplacer le problème. Quel critère retenir ? Le contenu d’un Caddie qui coûte moins d’argent ou de soucis au consommateur, ou bien qui rapporte plus à l’agriculteur, ou plutôt au transformateur, au distributeur, à l’économie locale, ou encore aux sols, à la nature, à l’eau, à l’air, au climat ?

La santé, mauvaise conseillère

Tout dépend de ce que l’on cherche. La nourriture est un totem sur lequel nous projetons nos tourments. Reflet de nous-mêmes, elle nous colle le nez dans l’assiette, organisant le monde autour de notre propre intérêt. Notre santé, par exemple. Pour elle, nous avons voulu, au lendemain de la guerre, ne plus nous contenter de ce qu’à proximité les saisons nous fournissaient depuis des lustres. Relisez La Terre d’Émile Zola. Les quelques jours d’orgies de viandes parmi des mois gavés de soupes et de vins mauvais faisaient gonfler le ventre. C’étaient des nourritures absolument naturelles, mais ternes, et qui rendaient malades. Jusque dans les années 1950, nous étions plusieurs milliers à mourir chaque année d’une infection alimentaire. Mauvaise conservation, produits gâtés par des parasites, fraudes, etc. L’industrie a répondu à notre besoin d’hygiène, de même que le tracteur et le pulvérisateur ont augmenté les rendements à partir de surfaces plus petites. Depuis, nous ne mourons plus de manger en France, enfin, pas tout de suite. Nous mangeons plus sain, plus diversifié, plus abondamment et, en plus, pour beaucoup moins cher que nos grands-parents.

Pourtant, ce bien-manger, nous le considérons aujourd’hui comme une horreur sanitaire et écologique. Car il nous a éloignés des réalités naturelles et du bon sens, nous emprisonnant dans les murs de la facilité agroalimentaire. Avant, nous étions mal et peu nourris, mourant tôt ; maintenant, nous sommes trop et mal nourris, mourant vieux mais gavés de médicaments. Non seulement la malbouffe nous a rendus obèses et diabétiques, offrant notre fragilité à la covid-19, en plus, elle a transformé la planète. La généralisation du modèle de la Beauce décrit par Zola a homogénéisé bien des paysages, en France comme dans le monde, ce qui a une conséquence fâcheuse : la chute drastique de la biodiversité commune, que la généralisation des pesticides a ensuite parachevée.