La reconversion, tout un travail !

En 2023, près d’un Français sur deux aurait pensé à changer de métier d’après l’Ifop. La transition se fait rarement du jour au lendemain. Par quelles étapes passent ceux qui se lancent dans l’aventure ?

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Dans cette rue de Saint-Mandé, en banlieue parisienne, l’œil du flâneur ne manquera pas d’être attiré par le bleu profond de la devanture. Sur l’auvent, quelques lettres blanches qui forment le mot « paroles ». C’est ici que Marie-Ève Charbonnier a ouvert sa librairie en 2019. Cette quadra parisienne, « amoureuse des livres » depuis son plus jeune âge, venait d’abandonner un emploi d’éditrice juridique où elle ne trouvait « plus de sens du tout ». La satisfaction du travail fait et du client avait, selon elle, disparu au profit d’objectifs de rentabilité. « En devenant libraire, évidemment que je suis commerçante et que je veux augmenter mon chiffre d’affaires ; mais mon objectif premier, c’est la transmission du plaisir de la lecture. Le travail a retrouvé un sens qu’il avait perdu. » Depuis, la néolibraire a embauché plusieurs salariés ; elle reçoit régulièrement, dans l’intérieur boisé de sa boutique, des auteurs qui viennent présenter leurs dernières parutions – des grands noms parmi lesquels Jonathan Coe, Nicolas Matthieu ou encore Laurent Gaudé. « Il n’y a pas une seconde où je regrette d’avoir sauté le pas », confie-t-elle.

Voilà un récit qui en ferait pâlir d’envie plus d’un. Ce type de témoignages a fleuri dans la presse ces dernières années, porté par un engouement certain pour le changement au moment de la crise du Covid. Le temps du premier confinement et l’avènement du télétravail auraient fait réfléchir bien des actifs sur leur occupation professionnelle. De fait, en 2022, on enregistre un sursaut de démissions et de ruptures conventionnelles, plus de 670 000 cumulées, soit 115 000 de plus qu’au 1er janvier 2020, d’après les chiffres de la Dares.

On parle de reconversion professionnelle lorsqu’il y a un changement radical dans la carrière d’un individu, en termes de métier et/ou de domaine d’activité. Et ce phénomène ne date pas de mars 2020 : en 2012 déjà, une enquête d’Ipsos révélait que plus de la moitié des actifs passaient par cette réorientation au cours de leur carrière. « Le souhait de changer volontairement d’activité professionnelle pour se tourner vers un autre emploi a pris une place notable dans l’espace social dès les années 2000 », écrivent Catherine Negroni et Olivier Mazade en 2019 1. Les tentatives pour mesurer l’ampleur du phénomène butent contre les difficultés à le définir précisément, « selon qu’on se réfère aux changements d’emploi, de fiche de poste, d’activité réelle, de codification des métiers ou de ressenti », nuance la sociologue Aurélie Gonnet 2.

Pour C. Negroni et O. Mazade, « trois éléments propres à la sphère professionnelle intrinsèques à la situation de travail (sont) prépondérants dans la décision d’engager une reconversion : la satisfaction au travail, l’ambiance et le sens attribué à son travail. » Ces constats sont confirmés par diverses enquêtes quantitatives. Ainsi, une vaste étude de 2022 de France compétences portant sur les actifs hors fonction publique trouve que « la perte de sens constitue la raison la plus partagée (27 %) des actifs en reconversion ; sont aussi marqués l’insatisfaction vis-à-vis des conditions de travail (23 %), de la rémunération (22 %), d’une pression trop importante (20 %), ou des problèmes de santé (maladie, burn-out…) (16 %) ».