L’apprentissage de la parole est un prodige dont on ne s’étonne jamais assez. Bien avant de pouvoir faire une addition ou attraper un ballon, « l’enfant comprendra à peu près toutes les phrases que lui adresse l’adulte, et il aura pratiquement maîtrisé sa langue avant de savoir nouer les lacets de ses chaussures », s’enthousiasme la psycholinguiste Bénédicte de Boysson-Bardies 1. Dès l’âge de 4 ans, la plupart des enfants ont déjà acquis les structures de base de leur langue maternelle. « Comment cet accomplissement peut-il être réalisé normalement, dans un délai si bref, chez tous les enfants, dans toutes les cultures ?, interroge la psycholinguiste Michèle Kail. Il est difficile d’éviter la conclusion que le langage est une part de notre héritage biologique 2. » Historiquement, la rapidité de cette acquisition a laissé penser que c’était une faculté innée. Au 13e siècle, l’empereur Frédéric II aurait voulu vérifier cette théorie en enfermant des nouveau-nés et en ordonnant à des nourrices de ne jamais leur parler. Il voulait découvrir quelle langue leur viendrait « naturellement » : le latin, l’arabe ou encore l’hébreu… L’anecdote est difficile à vérifier, mais une chose est sûre aujourd’hui : ces pauvres bébés n’auraient jamais dit le moindre mot ! Entendre une langue et communiquer avec ses utilisateurs restent indispensables pour apprendre à parler. « Sans informations linguistiques, les aptitudes initiales resteraient non accomplies », résume B. de Boysson-Bardies.
Entre l’inné et l’acquis
Les débats sur l’inné et l’acquis sont aussi anciens que la philosophie et la psychologie… Dans les recherches contemporaines sur l'acquisition du langage, « cette opposition s’est cristallisée à la fin des années 1950 », estime la linguiste Anne Salazar Orvig 3. Des chercheurs comportementalistes ou « béhavioristes »*, avancent que la langue est l’objet d’un apprentissage et donc principalement acquise, au même titre que la marche, le fait de se nourrir ou de gérer ses émotions. À l’inverse, les approches dites « nativistes » ou « générativistes »*, postulent que toute personne dispose d’emblée d’une « grammaire universelle ». C’est un peu comme si le cerveau contenait un moule : les humains pourraient apprendre différentes langues du fait d’être exposés à une diversité de stimuli, mais ils le feraient à travers le prisme d’une même architecture innée. Aujourd’hui, ces deux grandes thèses ont été renvoyées dos à dos. Il semble d’un côté impossible de tout mettre sur le compte de l’inné. « Les études sur le développement et la plasticité du cerveau ont mis en évidence le grand rôle de l’expérience dans la configuration des réseaux neuronaux, rendant moins vraisemblable l’hypothèse d’une représentation spécifiquement linguistique préconstituée et prélocalisée », explique A. Salazar Orvig. Pour autant, tout ne peut pas non plus être de l’ordre de l’acquis : « Nous savons maintenant qu’un nouveau-né vient au monde avec des prédispositions importantes (…) rendant impossible de le concevoir comme une tabula rasa 4. »