L'industrie occupe une place particulière dans la crise mondialisée de l'environnement. Première au banc des accusés, elle demeure, dans l'esprit de la population, la principale responsable de la dégradation des écosystèmes. Pourtant, après une longue période de dénégation, le discours des entreprises a radicalement changé au cours des années 80 et les initiatives industrielles en faveur de l'environnement se sont multipliées. Un nombre croissant d'entreprises adhèrent à des codes de conduite environnementaux. On ne compte pas moins de 75 000 entreprises certifiées Iso 14001 (voir l'encadré, p. 64) à travers le monde. Il n'empêche, le comportement des entreprises vis-à-vis de l'environnement est loin d'être homogène. Certaines d'entre elles ont bien amorcé une réflexion en profondeur concernant leur rôle dans la problématique environnementale. Elles ont de ce fait entamé l'examen minutieux de leurs produits et procédés, en vue d'en réduire l'impact écologique. D'autres en revanche rechignent à intégrer les paramètres environnementaux à leur modèle économique. Il est intéressant d'observer toutefois que la prise en compte de l'environnement s'analyse de plus en plus en termes stratégiques. La composante environnementale est devenue un élément de positionnement sur le marché. A ce titre, elle est brandie comme un sceau de qualité par les entreprises chefs de file.
Pour expliquer cette nouvelle attitude, plusieurs chercheurs se sont attachés à décrire le processus de sensibilisation des organisations comme si celles-ci reproduisaient la logique de la prise de conscience observable chez les individus au cours des dernières décennies. Loin de s'asseoir sur des bases empiriques, cette lecture fait l'économie des multiples travaux sur les déterminants du comportement environnementalement responsable chez les entreprises. Tous s'accordent sur le fait que le premier facteur de motivation à l'intégration des paramètres écologiques dans les processus de gestion est la réglementation environnementale avec les sanctions qui s'y rattachent. La sensibilité à l'environnement dans les milieux industriels est donc tributaire d'une modernisation écologique s'effectuant à l'échelle de la société. Celle-ci se concrétise par de nouvelles règles venant encadrer l'activité des entreprises. Mais cette modernisation ne se fait plus tant contre les industriels qu'avec la participation active d'une nouvelle classe d'entreprises, dites « vertes », qui ont choisi de se distinguer sur le marché en reprenant à leur compte le discours sur la protection de l'environnement.
Une nouvelle stratégie de coopération
Pour autant, l'intérêt croissant des entreprises pour l'amélioration de leur performance environnementale ne s'explique pas par une sensibilité accrue à la problématique environnementale, comme le suggère une perspective qui a trop tendance à anthropomorphiser l'organisation, mais bien par la restructuration d'un environnement socioéconomique où la variable de l'environnement se pose désormais comme élément de positionnement stratégique. Ceci se traduit par une dynamique double. En premier lieu, on peut affirmer que les entreprises anticipent l'évolution des normes environnementales appelées à devenir de plus en plus contraignantes. Il est en effet souvent moins coûteux pour une organisation de s'adapter à ces nouvelles normes avant leur entrée en vigueur, alors qu'elles disposent de la marge de manœuvre nécessaire pour choisir les technologies et le rythme d'implantation qui leur conviennent. Il est plus intéressant encore d'observer que l'entreprise ne se contente plus d'anticiper mais qu'elle participe au processus de réglementation et qu'il s'agit même là d'un élément essentiel de sa stratégie. Ainsi, des entreprises ayant atteint un niveau de performance écologique donné peuvent faire pression sur la sphère publique dans l'espoir que soient adoptées des normes plus sévères pour l'ensemble de l'industrie. Les concurrents sont alors contraints de suivre et doivent consentir des investissements potentiellement importants pour se conformer à des normes quand ils ne doivent pas parfois adopter une technologie choisie de concert avec l'entreprise chef de file par les organes de réglementation.