«Dans les écoles, l’uniforme a cessé d’être imposé au corps pour l’être à l’esprit des enfants. L’uniformité, l’indifférenciation, la ‘‘tronc-communisation’’ s’acharnent à vouloir normaliser les enfants », lance le psychologue Jean-Charles Terrassier, spécialiste des enfants surdoués dans Les Enfants surdoués ou la précocité embarrassante (ESF, 2018). Avec ce constat amer, il résume tout le dilemme de ces enfants qui peinent à rentrer dans la voie tracée par les têtes pensantes. Trop intelligents pour être heureux ? Avec leurs facultés hors normes, ils rejoignent le banc des élèves aux « besoins éducatifs particuliers », à côté des « dys », des hyperactifs et des élèves avec un handicap. Selon la psychologue suisse Claudia Jankech, l’échec scolaire concernerait 14 à 16 % des enfants intellectuellement précoces (EIP). Un taux qui augmenterait continuellement au fil de la scolarité pour atteindre 30 à 50 % en fin de collège. Si en France on a longtemps ignoré ce phénomène, de nombreuses mesures et circulaires depuis ces dernières années témoignent d’une réelle volonté d’avancer sur ces questions.
Un décalage dès l’entrée en maternelle
Les petits précoces sont en général pressés d’entrer à l’école. Ils ont envie d’apprendre à lire, écrire et compter le plus vite possible. Mais quand, en petite section de maternelle, ils découvrent des enfants pleurnichards qui parlent comme des « bébés » et ne s’intéressent qu’à jouer, ils tombent de haut. « Il pense alors qu’il n’a pas dû très bien comprendre ce qu’on lui a expliqué. Loin d’entrer dans un paradis, il va pénétrer dans un enfer », écrit la psychologue Arielle Adda dans Psychologie des enfants très doués (Odile Jacob, 2018).
Le passage en primaire n’est guère plus réussi, continue-t-elle. Entendre répéter sans arrêt des choses qu’ils connaissent par cœur finit par les lasser. Alors qu’eux ont des centres d’intérêt tellement plus intéressants : l’origine de l’univers, l’origine de la vie, les dinosaures, les volcans, les tremblements de terre… Mais s’ils brillent à l’oral, à l’écrit, c’est une autre paire de manches. Leur écriture est souvent malhabile et difficile à déchiffrer. C’est d’ailleurs une des raisons qui font qu’on les considère souvent plutôt « en retard » qu’en avance ! À ce sujet, Arielle Adda préconise le recours à un graphothérapeute. « Parfois(…), un simple bilan suffit pour dédramatiser cette maladresse et éviter qu’elle ne gâche la scolarité pour quelques années encore si un blocage dommageable s’installe », écrit-elle.
Mais au-delà de l’écrit, c’est encore davantage au niveau relationnel que ces enfants sont en panne. Jean-Charles Terrassier utilise le terme de dys-synchronie pour qualifier cet écart entre un niveau intellectuel exceptionnel d’un côté et une immaturité affective de l’autre. Si, dans son discours, l’enfant précoce parle déjà très tôt comme un adulte, ses besoins affectifs restent ceux d’un enfant de son âge. Sa vivacité d’esprit l’amène à rechercher la compagnie des plus grands, mais son manque de maturité affective, physique et motrice sont sources de rejet. À cela s’ajoutent souvent une hyper-émotivité, une forte anxiété et une mésestime de soi qui font de lui une proie facile pour les harceleurs.