Comment sortir d'un régime autoritaire?

Le passage d'un régime autoritaire à un régime démocratique ne suit pas une seule et même voie. La transition dépend de multiples facteurs : l'histoire nationale, la situation économique, le contexte international...

Depuis 25 ans, la démocratie a fortement progressé dans le monde. L'Europe du Sud (Portugal, Espagne, Grèce), dans les années 74-75; l'Amérique latine (tous les pays sauf Cuba et le Mexique) dès la fin des années 80; l'Europe de l'Est et, en partie, l'Asie et l'Afrique, ont été submergés par une vague de démocratisation qui a emporté les régimes autoritaires qui y avaient prospéré. Au début des années 90, la fin de la guerre froide aidant, ces évolutions politiques ont nourri un optimisme bien imprudent. L'ensemble du monde semblait enfin converger vers cet ordre démocratique que la charte de l'Organisation des Nations unies appelait de ses voeux depuis 1945. L'économie de marché semblait de surcroît s'imposer partout, face aux modèles socialiste ou protectionniste.

L'année 1989 fut célébrée comme la victoire définitive de la démocratie de marché. L'essayiste nord-américain Francis Fukuyama alla même jusqu'à annoncer dès l'été 1989 la « fin de l'histoire » entendue comme « la fin de l'évolution idéologique de l'humanité et l'universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de gouvernement humain » 1.

L'euphorie fut de courte durée. Les affrontements ethniques et nationalistes ramenèrent vite les opinions publiques à la réalité, les démocratisations provoquaient des désenchantements, tandis que certaines régions du monde se refusaient à entrer dans l'ère démocratique, et que les réformes économiques s'avéraient difficiles à mettre en oeuvre. Guy Hermet pouvait à juste titre évoquer les « désenchantements de la liberté » 2. Un scepticisme quant aux chances de succès de la démocratie dans le monde semble aujourd'hui être de mise.

Il reste que ces interprétations intempestives des démocratisations dénotent une ignorance de l'histoire et une incompréhension des phénomènes de changement politique. Celle-ci mérite une courte remarque, celle-là de plus amples développements.

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La troisième vague

La vague de démocratisation, qui s'est ouverte avec la «révolution des oeillets» au Portugal le 25 avril 1974, n'est pas la première de l'histoire. Ainsi, Samuel Huntington rappelle-t-il que deux autres vagues de démocratisation ont précédé celle que nous connaissons actuellement 3. Durant un siècle, entre les années 1820 et 1920, les pays occidentaux se sont progressivement démocratisés. Après la Seconde Guerre mondiale, les pays ayant lutté contre les forces de l'axe ont ensuite tâché d'imposer au monde un ordre démocratique et pacifique.

Un rapide coup d'oeil historique impose deux remarques.

La première concerne l'ampleur de la vague actuelle de démocratisation. L'évaluation que fait Huntington est intéressante. Selon lui, il n'y avait proportionnellement pas plus de pays démocratiques en 1990 qu'en 1922 (voir tableau ci-dessous).

Si l'on tient compte non pas du nombre de pays, mais du nombre de leurs habitants, il est clair que jamais dans l'histoire de l'humanité autant d'hommes et de femmes ont vécu en démocratie. En 1990, près de 40% de l'humanité vivait sous des régimes garantissant un minimum de libertés et organisant régulièrement des élections.

Il faut ajouter, deuxième remarque, que ces évolutions sont éminemment réversibles. Comme le montre le tableau, chaque vague de démocratisation a été suivie d'un « ressac » important. Dans les années 20 et 30, la dictature progresse en Europe (Mussolini en Italie dès 1922, Hitler en Allemagne en 1933, etc.) et dans le reste du monde. De même, dans les années 60, une série de coups d'Etat emportent les régimes démocratiques latino-américains et l'autoritarisme s'installe en Asie et dans l'Afrique récemment décolonisée. Cela signifie qu'il en va des démocratisations comme de toutes les évolutions politiques : elles sont empreintes d'une grande incertitude.