Cro-Magnon comme si vous y étiez

Préhistoire intime Vivre dans la peau des Homo sapiens
Sophie A. de Beaune, 2022, Gallimard, coll. « Folio », 368 p., 9,40 €.

Comment Homo sapiens percevait-il et concevait-il le monde ainsi que sa propre existence ? Des traces qu’il a laissées, on peut déduire en tout cas qu’il planifiait ses actes.

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Sophie Archambault de Beaune tente ici un exercice de style, sur le fil du rasoir. Son objectif est ambitieux : dresser une « archéologie du corps » et de l’intime de nos ancêtres directs, ces Cro-Magnon que nous connaissons peut-être mieux que nous le pensons. « Je hais ces cœurs pusillanimes qui pour trop prévoir les suites des choses n’osent plus rien entreprendre », disait Molière. Tel n’est pas le cas de l’auteur, qui fait un « pied de nez » aux historiens qui prennent la préhistoire de haut, arguant que l’on ne saura jamais rien de sûr, dans ce fatras d’os, de silex et d’images. Attention cependant : cet ouvrage n’est pas celui d’un savant en fin de carrière, qui, n’ayant plus rien à craindre, nous ennuierait de ses rêveries. Ici, chaque affirmation est étayée par de solides informations, validées par des recherches et publications récentes, prises aussi bien dans les analyses technologiques, les observations ethnographiques ou les recherches en génétique. C’est ainsi qu’il est possible de proposer des hypothèses sérieuses quant à l’époque de la perte de notre pilosité et la pigmentation de notre peau entre 240 000 et 1,2 million d’années. Car nous avions la peau sombre, c’est désormais une certitude, et ce n’est qu’au Néolithique qu’elle s’éclaircira chez les peuples engagés sur des territoires plus septentrionaux que les régions tropicales dont nous sommes issus. Sophie A. de Beaune tisse un lien entre plusieurs domaines d’études qui font sens, comme pour l’apparition des vêtements, qu’on peut deviner par les analyses génétiques, l’apparition des poux de corps (les poux de tête et d’aine migrant vers les zones encore pileuses, tandis que les poux de corps s’accrochent aux vêtements), l’étude du squelette (les phalanges plus graciles indiquant le port de chaussures), les instruments servant à travailler les peaux, etc.