Croire aux utopies

Il existe deux manières de penser l’avenir : la prospective et l’utopie. La plus sérieuse n’est pas nécessairement celle qu’on croit.

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« Je m’intéresse beaucoup à l’avenir, car c’est là que j’ai décidé de passer le restant de mes jours », confie Woody Allen. On ne peut qu’approuver cette sagesse. Chacun, à tout âge, devrait se sentir concerné par ses futurs possibles. Et prendre le temps de se poser régulièrement ces questions, à titre personnel et collectif : « Qu’est-il permis d’espérer ? Comment s’y préparer au mieux ? »

Pour penser l’avenir, une première méthode consiste à élaborer des scénarios possibles ou probables à partir des données actuelles : état des lieux d’un secteur, tendances lourdes, phénomènes d’émergence, zones de risques… C’est ainsi que procède la prospective, qui connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, notamment dans les domaines politiques, sociaux, démographiques. Les prospectivistes tirent leur légitimité de leur méthodologie. Grâce à des outils de plus en plus précis, ils établissent une matrice de l’ensemble des facteurs variables et en tirent différents scénarios susceptibles d’orienter la stratégie. En France, l’organisme France Stratégie (anciennement Commissariat au plan), sous l’égide du Premier ministre, est le plus souvent convoqué dans ce domaine.

Ces prévisions présentent toutefois des limites, bien analysées par le politiste Ariel Colonomos dans La Politique des oracles 1. La première d’entre elles tient au fait que l’avenir est rarement déductible. L’histoire n’est pas linéaire : elle évolue par surprises, bifurcations et accidents. Cette dramaturgie peut balayer les scénarios savamment élaborés. Pour s’en tenir à la période récente, les prospectivistes n’ont prévu ni l’attentat du Word Trade Center, ni les révolutions arabes, ni encore la crise financière de 2008… La prospective se voit aussi également reprocher son caractère consensuel. En raison des relations commerciales ou politiques qui relient souvent experts et acteurs, elle s’en tient généralement au moyen terme, sans se risquer à prédire de grands changements politiques ou sociaux. Elle ne déplace pas les normes, ne bouscule pas les habitudes de pensée. Elle incite souvent à la prudence, rarement à l’espérance.