De l'enfance à l'âge adulte : témoignages de surdoués

Un fardeau ? Une chance ? Une différence ? Le haut potentiel intellectuel semble tout cela à la fois.

À son entrée en moyenne section, Lucas se met subitement à bégayer. « Quand il rentrait, le soir, raconte sa mère, Caroline, 41 ans, il était dans une attitude de régression totale. On le retrouvait, sur le canapé, en position fœtale, suçant son pouce. Il ne voulait plus aller à l’école. Sa souffrance faisait peine à voir. » À ses parents qui l’interrogent, le petit garçon, levant vers eux son visage grave, rétorque : « Quand je serai grand, je veux être égoutier, pour être au fond de la terre, tout seul et enfin tranquille. »

Comme à cette époque un deuxième enfant est né dans la famille, Caroline se demande d’abord si son fils ne vit pas l’arrivée de son petit frère avec difficulté. L’orthophoniste chez qui elle l’emmène dit soupçonner fortement que derrière ce bégaiement se cache une précocité. Lucas passe un test de QI. Il obtient un score de 142. Un an plus tard, il entre en CP. Au bout de quelques jours, son institutrice découvre, médusée, que l’enfant sait parfaitement lire. Nul n’en savait rien. « Il l’avait caché, raconte sa mère. Il avait peur qu’on ne lui lise plus d’histoires. » Au bout de trois semaines, on lui fait sauter une classe. « Ça a été hyper bénéfique pour lui. On lui a expliqué ce qu’était la précocité, on lui a dit que ça ne voulait pas dire qu’il était plus intelligent que les autres, mais qu’il pensait différemment et qu’il réagissait différemment, parce qu’il voit le monde un peu différemment de nous. »

À huit ans, s’angoisser de l’infiniment grand

Ce choix maternel de ne pas mettre l’accent sur la « supériorité », mais bien sûr la singularité et la différence, a vraisemblablement aidé Lucas. Tout comme le fait de constater que son père, Marc, 43 ans aujourd’hui, voit les choses d’un autre œil. Pour lui, ce qui compte avant tout, c’est que son enfant soit « bien intégré socialement » et qu’il ait des amis. « Quand sa précocité a été diagnostiquée, j’ai insisté sur le fait qu’il devait aller vers les autres et faire du sport ». En d’autres termes, apprendre ce qu’est le « collectif » et le « vivre ensemble ». Mais au départ, « ça a été difficile pour lui de l’entendre. Il préférait rester tout seul sur son canapé. » Raison pour laquelle, quand la question se pose de mettre Lucas dans un établissement spécialisé, ses parents s’y opposent : « Ça m’inquiétait, je craignais que ça ne stigmatise plus encore sa différence », explique Marc.

Les années défilent. Nuit d’été. Lucas a huit ans. Il regarde les étoiles en famille. Brusquement, le sentiment de l’infini et de l’infinie petitesse de l’Homme jeté dans l’univers le saisit. Il faudra de longues discussions avec ses parents pour l’apaiser. Les choses se tassent. Mais à son entrée en sixième, les angoisses de Lucas reprennent, avec leur cortège de symptômes déplaisants : diarrhées, maux de ventre, insomnies, sanglots dans les bras de sa mère, mais sans rien pouvoir dire de sa douleur. À une psychologue, l’enfant finit par lâcher : « J’ai peur, j’ai l’impression que le meilleur de la vie est derrière moi. Adulte, je ne vais plus pouvoir jouer aux Lego ou lire des Picsou, car la vie des adultes est une vie de problèmes. » À ce moment-là, Caroline et Marc prennent une grande décision, qui tombe parfaitement bien : embarquer leurs trois enfants, Lucas, Nino et Suzie, dans un grand tour du monde. Un rêve évoqué pour la première fois douze ans plus tôt, alors qu’ils n’avaient pas encore d’enfants. C’est la révélation. « Lucas a passé une année extraordinaire. Loin de l’école, mais tout en faisant, bien sûr, des devoirs, comme son frère et sa sœur, il s’est peu à peu réconcilié avec le fait que grandir peut être une grande source de joie. Il était fasciné par les jeunes adultes qu’on a croisés au cours de notre périple, et qui voyageaient sac au dos. Il s’est rendu compte que grandir, c’était pouvoir faire de même, librement, sans les parents. Il s’est nourri de tout ce qu’on a visité comme de tout ce qu’on a goûté. Il a fait un journal de bord, très drôle, rempli de dessins, et plein de cet humour très fin et décalé qui est sa signature. Il a construit des labyrinthes, composé des énigmes, écrit des nouvelles. Il a été très créatif et s’est même mis à fabriquer des bracelets pour les vendre à des touristes. »