De l'urgence d'une politique climatique

Le protocole de Kyôto inaugure un régime international de régulation des émissions de gaz à effet de serre pour limiter l'effet des activités humaines sur les changements climatiques. Se pose désormais la question de sa viabilité.

La poursuite de la croissance des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique peut entraîner un bouleversement du climat global et des climats régionaux. Telles sont les conclusions, sans équivoque au plan scientifique, des trois rapports d'évaluation successifs du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) 1. Ces changements, qui pourraient être rapides, affecteront les conditions de vie et les activités économiques de toutes les régions du monde. Ils devraient en particulier imposer un « stress climatique » aux régions dont les systèmes écologiques et économiques sont les plus vulnérables.

Au plan politique, les Etats ont inscrit la question du climat sur l'agenda des négociations internationales depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992. Presque tous ont signé la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique 2, dont l'article 2 stipule que les signataires s'engagent à limiter les émissions à un niveau ne devant pas occasionner de « perturbation anthropique dangereuse pour les systèmes climatiques ». Cette acceptation d'une action collective a été précisée cinq ans plus tard, en 1997, dans le protocole de Kyôto 3. Celui-ci fixe en effet des objectifs quantifiés d'émissions pour les pays industrialisés à l'horizon 2010. Les grands pays ont signé cet accord mais tous ne l'ont pas ratifié, en particulier les Etats-Unis qui se sont retirés du processus en 2001. Le protocole de Kyôto n'est finalement entré en vigueur qu'en février 2005 après sa ratification par la Russie (voir l'encadré, p. 21). Un régime international est donc en place mais personne ne peut dire à ce jour s'il sera durable et quelles seront ses implications économiques. L'économie est en effet doublement concernée par la question du changement climatique : d'abord au titre des impacts potentiels sur les activités humaines et ensuite pour l'évaluation des politiques de réduction des émissions 4. Les nombreux travaux menés à ce sujet s'appuient le plus souvent sur des modèles qui représentent soit l'ensemble de l'économie (modèles d'équilibre général appliqués), soit les secteurs d'activité responsables des émissions (modèles d'équilibre sectoriel, notamment pour l'énergie). Ces travaux ont joué et jouent toujours un rôle important dans la préparation et le déroulement de la négociation internationale sur le climat.

Analyse coût-avantages et principe de précaution

Dans une économie qui prend en compte l'environnement, la maximisation du bien-être impose de comparer les coûts associés aux pollutions à ceux des politiques visant à leur réduction. L'analyse coût-avantages (ACA) permet de définir un « optimum de pollution », là où le coût marginal de la réduction est égal à celui du dommage. En fait, malgré les progrès réels des techniques d'évaluation et de monétarisation des dommages, il est souvent difficile, sinon impossible, de fournir une évaluation marchande des biens collectifs environnementaux. Tel est le cas du changement climatique. Les modèles climatiques les plus avancés ne présentent pas aujourd'hui de valeur prédictive au niveau des zones géographiques pertinentes pour évaluer les impacts économiques. Certains économistes tentent néanmoins l'exercice avec des modèles ? certes rigoureux ? trop synthétiques. Les résultats aboutissent le plus souvent à la nécessité d'une action, mais d'ordre modeste, qui correspond à un « consentement à payer » au maximum de l'ordre de 10 euros par tonne de CO2 (soit l'équivalent de 3,5 euros par baril de pétrole).

En fait, la plus grande partie des travaux économiques menés sur les politiques climatiques prennent les objectifs d'émissions comme une donnée exogène, découlant d'une décision politique informée par les sciences de la nature. On est dans une logique conforme à l'application du principe de précaution, avec des objectifs visant à éviter des impacts futurs potentiellement « graves et irréversibles » (voir la Charte de l'environnement). La position de l'économiste est alors plus modeste. Il ne s'agit plus de décider de l'objectif, celui-ci étant déterminé par une décision politique, mais d'explorer les moyens de l'atteindre en recherchant l'efficacité économique. Le cadre du protocole de Kyôto impose d'ailleurs ce type d'approche coût-efficacité (ACE). Les objectifs ont en effet été négociés par les Etats dans la recherche d'un compromis entre le nécessaire et l'acceptable. Cependant, les bases scientifiques et économiques de leur détermination étaient, et demeurent, en partie imprécises. On peut noter en tout cas que les objectifs retenus dans l'ACE correspondent généralement à un consentement implicite à payer un coût beaucoup plus élevé ? de l'ordre de un pour dix ? que dans l'ACA.

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L'ACE maintient sans doute l'économie à sa juste place. On ne peut pourtant considérer qu'il s'agisse d'un choix définitif en la matière. D'une part, les modèles climatiques comme les méthodes d'évaluation monétaires progresseront peut-être jusqu'à permettre une valorisation détaillée des dommages, d'autre part, la question de la pertinence des objectifs, de leur caractère « proportionné » au danger, préoccupera toujours les économistes et les politiques. S'il est légitime d'invoquer le principe de précaution pour décider d'agir, cela ne résout pas pour autant la difficile question de l'intensité de l'action à mener. « How much is too much ? » C'est après avoir apporté sa propre réponse à cette question que l'administration américaine a décidé de son retrait du processus de Kyôto début 2001...