Le mythe fondateur de l’islam présente cette religion comme née dans un contexte exceptionnel : dès son origine, l’islam aurait connu un âge d’or. Il se serait constitué d’emblée comme une sorte d’État théocratique, soudé par une communauté de croyance. De cette configuration tout à fait nouvelle, Mahomet aurait été le prophète et le chef tout-puissant, voire parfois le guerrier cruel, massacreur de ses adversaires (encadré ci-dessous).
Ses successeurs, nommés califes, seraient eux aussi des exceptions. Ils se situeraient hors des catégories habituelles qui désignent les hommes de pouvoir. Le nom étrange dont on les nomme en français les classerait irrémédiablement dans un ailleurs que l’on ne saurait définir ou, pire encore, les rangerait parmi les figures des Mille et Une Nuits. Or le calife, en arabe khalifa, désigne simplement celui qui vient « après » (khalfa), autrement dit le « successeur » et pas seulement en politique. Le successeur peut être aussi, en matière matrimoniale, celui qui doit épouser la veuve d’un frère décédé pour assurer sa subsistance, une forme de lévirat* comme on en connaît ailleurs dans la tradition sémitique du Proche-Orient et dans la Bible.
La réalité historique et humaine du pouvoir et du religieux au début de l’islam est évidemment bien différente de ce que mettent en scène les clichés habituels. L’islam est né dans un minuscule territoire en Arabie occidentale, au début du VIIe siècle apr. J.‑C., dans un milieu sédentaire, la cité de La Mecque, en arabe Makka. Si certains clans tribaux de cette cité devaient se livrer à un trafic caravanier saisonnier qui semble évoqué par le Coran, cela ne fait de Mahomet, à l’encontre d’une certaine légende dorée, ni un nomade ni même un participant actif à ce trafic. Son clan tribal d’appartenance, les Hachémites, n’aurait justement pas été partie prenante à ce commerce – il aurait été commis principalement à des fonctions cultuelles dans la cité.
Le cadre d’origine : le site sacré de La Mecque
La Mecque était en effet, dès avant l’islam, un site sacré, et non une oasis, contrairement aux autres implantations sédentaires d’Arabie. Implantée au milieu du relief tourmenté de la chaîne montagneuse côtière qui borde la mer Rouge, la cité doit son existence à la présence d’un point d’eau permanent dans un bas-fond vers lequel confluent plusieurs vallées d’oueds temporaires.
On ne sait pas dater précisément la découverte du point d’eau mekkois. On tient simplement pour acquis que La Mecque existait déjà à la fin du Ier siècle apr. J.‑C., puisque le site est connu de Ptolémée, astronome et géographe grec d’Alexandrie, sous le nom de Macoraba. La Mecque cependant n’était pas précisément une destination de voyage avant l’islam. La cité se trouvait à l’écart de la route dite de l’Encens, à trois nuits de marche vers l’ouest. Cette grande route caravanière qui remontait du nord du Yémen vers la Palestine, la Syrie et l’Égypte suivait une voie intérieure, qui est aussi celle le long de laquelle les Turcs ottomans construisirent le chemin de fer du Hedjaz au début du XXe siècle. Au moment de l’émergence de l’islam, la route de l’Encens n’était plus la voie royale du trafic des aromates. La voie maritime remontant la mer Rouge lui avait été préférée depuis plus d’un demi-millénaire. Elle restait néanmoins la principale voie des échanges intérieurs entre la montagne yéménite, pays de sédentarité et d’agriculture, arrosé par la mousson d’été, et le reste de l’Arabie.
Par contre, il est important de noter que l’ancienne route caravanière internationale passait par Yathrib, ancien nom de Médine cité une fois dans le Coran. Médine, autrement dit « la ville », al-madîna. Cette grande oasis, riche en points d’eau, deviendra la deuxième ville de l’islam et sa capitale politique, lorsque Mahomet, chassé de La Mecque par sa tribu à la date présumée de 622 apr. J.-C., y trouvera refuge. Il parviendra peu à peu à s’y imposer pour y mettre sur pied, non un « État musulman », représentation largement mythique, mais une confédération tribale, forme classique du pouvoir dans ce milieu et à cette époque.