Deuxième vague Les thérapies cognitives

Serions-nous tous des gens intelligents qui se conduisent comme des imbéciles parce que notre vision de la réalité est biaisée ? En tout cas, les thérapies cognitives se veulent des boîtes à outils pour réviser les fausses croyances 
et autres ruminations stériles qui parasitent le quotidien.

Dans le roman de Pierre Dac, Du côté d’ailleurs, publié en 1953, les intrépides (et corruptibles) journalistes Sylvain Etiré et Guy Landneuf visitent la bourgade de Chanceville, qui n’admet pour résidents que ceux qui peuvent attester de leur chance. Or, il semble bien que Chanceville collectionne les fous et les calamités : la preuve, ce jour-là, les habitants dansent dans les décombres pour célébrer la destruction de la ville par un séisme. Explications du maire : San Francisco a jadis été détruite par un tremblement de terre ET un raz-de-marée, alors que Chanceville a échappé au second. Tout à coup, un pan de mur s’écroule et ensevelit le magistrat, lui broyant les deux jambes. Mais en songeant qu’il aurait pu mourir, il rit tout son soûl. On ne saurait mieux illustrer le postulat des théories cognitives, principalement initiées par deux psychanalystes défroqués, Albert Ellis et Aaron Beck, qui n’ont jamais caché leur dette à l’égard des philosophes stoïciens (ni, sans doute, de Mordicus d’Athènes) : chacun de nous a sa propre façon d’interpréter les événements. Selon que vous verrez le monde en blanc ou noir, vos jugements vous feront vous sentir puissant ou misérable. Selon votre humeur du moment, certes, mais aussi selon l’image que vous avez de vous-même et des rapports humains, le sourire d’un inconnu dans la rue vous semblera ironique, agressif, ou au contraire un signe de connivence. Et des pensées surgiront avec précipitation : « Encore un qui me trouve moche ! Il a bien raison ! » Ou bien : « Il se fiche de moi ! Comme tout le monde ! » Ou encore : « Tiens, tiens ! Quel succès en ce moment, décidément ! Si je voulais… » Alors qu’en réalité, cette personne ne vous aura peut-être pas remarqué, et pensait juste à quelque chose d’amusant. Ces interprétations automatiques et dénuées de fondements réels ne se produisent pas au hasard : elles sont le fruit de routines cognitives profondément enracinées. Parfois dysfonctionnelles. Mais pas immuables.

La musturbation rend aveugle

En 1955, Albert Ellis fait connaître sa thérapie rationnelle-émotive (ex-thérapie rationnelle, et future thérapie rationnelle-émotive-comportementale), partant du principe que les comportements névrotiques sont des actes stupides mis en œuvre par un sujet intelligent, au nom de croyances irrationnelles. Celles-ci, au nombre d’une dizaine, relèvent fréquemment d’impératifs irréalistes du genre « Tout le monde doit m’aimer. » Ces diktats ne sont guère que shouldism et musturbation, estime Ellis.

Professeur de psychiatrie à l’uni­versité de Pennsylvanie, Aaron Beck remarque de son côté, dans les années 1970, qu’un sujet dépressif est victime de trois biais fondamentaux : il se considère, à tort, systématiquement responsable de son malheur, lequel est perçu comme irréversible, et frappant, par contagion, le monde entier. Ces mécaniques cognitives, selon Aaron Beck, comportent plu­sieurs strates.