Depuis plus d’une vingtaine d’années, l’école est au centre de débats de nature différente. Pour dire les choses rapidement, il y a ceux qui visent à la critique de son organisation interne et de ses modes de transmission du savoir, et il y a ceux qui ne cessent de s’interroger sur son « identité », c’est-à-dire sur ses rapports avec les classes populaires et plus largement à la société.
L’apparition de nouvelles revendications mettant en avant l’identité religieuse comme principe d’identité majeur au sein même de l’espace scolaire a sans aucun doute accru la place stratégique de l’institution scolaire dans sa fonction de socialisation et d’intégration sociale et professionnelle. Mais à y regarder de plus près, les débats sur la laïcité ont été une autre façon de reprendre, plus dramatiquement que les débats précédents, la question de la place de l’immigration et des populations qui en sont issues dans la société et les institutions, et en premier lieu l’école. Pourtant, dans les débats, intéressants mais relativement abstraits, entre partisans et adversaires du « foulard », il a été finalement peu question de l’école et des rapports symboliques que ces enfants et leurs familles nouent avec elle. Certainement parce qu’une nouvelle fois on pensait, à tort ou à raison, qu’une partie de ces populations était devenue un problème pour l’école mais aussi pour la société française, et qu’il était urgent de trouver une solution juridique.
Mais la situation avait la vertu de montrer que la question de l’immigration ne pouvait plus se limiter à une simple gestion de main-d’œuvre et de populations extérieures à l’ordre national français. Les immigrés ont émigré avec leur histoire, et leur présence sur le sol français s’étend, implique et suscite de multiples effets : sociaux, culturels, politiques. Au cœur de cette transformation, que retrace l’histoire sociale de l’immigration, la relation à double sens entre les immigrés (quelle que soit leur nationalité, française ou non) et l’école, dans sa vocation d’intégration sociale et culturelle au symbolisme dominant, occupe une place centrale.
Pourtant, analyser statistiquement par exemple, comme je l’ai fait, la différence de réussite scolaire, entre Français et « étrangers », et au sein de cette dernière catégorie, entre filles et garçons, fait voir à quel point les débats à ce sujet sont souvent proches du pur parti pris idéologique. En témoigne un aspect significatif de cette recherche que je voudrais relater ici très brièvement. J’ai analysé la répartition des élèves de terminales de sept académies (Dijon, Grenoble, Metz, Nice, Orléans, Rennes et Toulouse) lors de l’année scolaire 1989-1990 selon la nationalité et le sexe. L’un des apports de nos résultats est de révéler que la différence de réussite scolaire entre filles et garçons étrangers réside non pas dans l’écart entre les taux de réussite, puisqu’ils sont statistiquement peu significatifs, mais dans la distribution selon le sexe entre les séries. La série est donc une variable déterminante pour les étrangers. Les filles sont massivement présentes dans les filières non scientifiques de l’enseignement secondaire (G, A, B) alors que les garçons, comme leurs homologues français, accèdent d’abord aux filières où les matières scientifiques sont importantes, voire décisives (F, G, C). Encore faut-il préciser que la série G ne doit pas masquer le fait que plus de la moitié de ses effectifs, pour la catégorie étranger, est constituée de filles (478 filles contre 233 garçons). Seule la série D est, pour les Français comme pour les étrangers, celle qui accueille sensiblement le même pourcentage de filles et de garçons. Nous avons ainsi d’un côté un pôle littéraire/ tertiaire (G, A, B), celui des filles, qui s’oppose au pôle des garçons industriel/ scientifique (F, G, C).
Mais il y a plus. Certes, les filles étrangères accèdent en terminale en nombre légèrement supérieur à celui des garçons (elles représentent 1 424 des 2 508 admis d’origine étrangère), mais leur répartition entre les séries est plus inégalitaire que celle des garçons. Autrement dit, ces derniers ont des probabilités d’accès à un plus grand nombre de séries que les filles, qui n’ont que des probabilités relativement réduites d’accéder à d’autres filières que G et A, ces deux filières totalisant à elles seules 855 filles, c’est-à-dire 60 % des effectifs de l’ensemble des sections.
Si les parents ne sont bien souvent que d’un faible recours pour les choix fondamentaux concernant la scolarité de leurs enfants, c’est que rien ne permet à ces parents d’être naturellement des médiateurs (entre la famille et le reste de l’environnement) et des interprètes de la complexité du monde – à commencer par la complexité du fonctionnement de l’institution scolaire. Dotés d’expériences différentes de celles de leurs enfants, les parents n’ont pas dans le domaine de l’école de consigne ou de modèle pouvant se traduire concrètement par des réponses du type « voilà comment j’ai résolu ce problème ». Cette défaillance des parents dans l’espace scolaire et social n’interdit pas des scolarités plus ou moins remarquables. Un mot revient très souvent dans les récits que nous avons recueillis pour rendre compte du rôle des parents dans la scolarité de leurs enfants, c’est celui de « présence » : « Ils étaient toujours présents », « Ils ne m’ont pas laissé tomber », « Mon père était tout le temps à la maison, il n’allait jamais au café », « Ma mère, c’est grâce à elle que je suis en fac, quand ça n’allait pas, elle était là », « Ma mère était un vrai télescope, j’étais toujours sous surveillance », etc.
Mon hypothèse est que ces familles sont dotées d’une morale éducative, d’un système éducatif gouverné par une morale de la prudence, de la mise en garde mais aussi et peut-être surtout d’une morale de la persévérance. L’école n’est pas le tout de cette morale, elle n’en est qu’une dimension. Cette éducation, faite de tensions permanentes, ne vise nullement à produire prioritairement de brillants élèves, elle est tout entière tournée vers la production, en terre d’immigration, d’enfants « dignes » de ce nom, des « enfants qui font honneur ». Les enfants « qui ne sont pas perdus » et « qui ne se sont pas perdus ». Elle signe l’existence d’une relation sensée avec le monde, la chose qui donne sens, la chose la plus sensée dans ce monde insensé. Que de fois n’avons-nous pas entendu que l’on pouvait considérer qu’une famille s’en était bien tirée, que les enfants avaient « bien tourné », qu’ils étaient « maintenant des hommes », qu’ils n’avaient « pas fait honte », tout simplement parce qu’aucun d’entre eux n’avait eu affaire avec la police, la justice ou n’était devenu dealer ou toxicomane.
En déroulant différemment le cursus scolaire de ces enfants d’immigrés devenus étudiants, c’est-à-dire en partant de leurs études à l’université et non pas de leur scolarité à l’école élémentaire, mon ambition est de mieux comprendre, analytiquement et empiriquement, la dimension cumulative des conditionnements sociaux. Cette période constituée par le temps des études dans l’enseignement supérieur apparaît comme une période d’intense théorisation de la rupture avec l’ethos du foyer et de la communauté d’origine. Au lycée, et encore plus lors des études supérieures, l’obéissance alternative à deux codes culturels, celui de la famille et celui des groupes d’adoption, devient tout bonnement impossible. Plus la scolarité se prolonge, c’est-à-dire plus elle « réussit » pour ceux qui la prolongent, plus la distance sociale et culturelle s’accroît et finit par devenir incommensurable entre les bien scolarisés et les mal scolarisés, et plus les familles se résolvent à accepter cette distance, à s’en accommoder, à la comprendre en comprenant la métamorphose qui s’est accomplie et que l’école a accomplie sur la personne de leurs enfants. Mais aussi, plus elles peuvent s’en enorgueillir et tirer profit des avantages symboliques de cette remarquable scolarité.
C’est bien pour tenter de comprendre ces multiples transformations morphologiques et les mécanismes qui leur sont liés qu’il m’a semblé nécessaire d’historiciser la question scolaire quand elle est rapportée à l’immigration et aux enfants d’immigrés, et d’examiner cette fois-ci à partir du point de vue des familles, c’est-à-dire de leur confrontation aux impératifs de l’institution scolaire, comment se constitue, avec ou sans héritage scolaire, un double processus de séparation d’avec le groupe d’origine et d’agrégation, problématique mais réelle, aux mondes de la culture dominante.
Un témoignage parmi des dizaines d’autres que j’ai recueillis au cours de mes recherches, celui de Karim.
« A Sciences po, je parle comme les gens de Sciences po. Et puis quand je suis à la cité ou dans ma famille c’est moi qui parle de Sciences po. Mes parents ne savent pas du tout ce que ça représente. La différence se fait au niveau du langage. Chez moi et même dans ma cité, il y a des conduites, des mots et des choses qui m’énervent. Mais je ne dis rien. J’accepte, je sais qu’ils n’ont pas le même univers que moi. Je pardonne. Je ne supporte pas quand ils ont des jugements négatifs sur telle ou telle personne : c’est presque du rejet raciste. Alors je m’oblige à expliquer. Avec mes frères aussi je ne supporte pas leurs rapports aux choses. Comme la question israélo-palestinienne, leur jugement est trop catégorique. Tout ça devient difficile à gérer. Ça devient vraiment difficile. De plus en plus, je sens qu’ils appartiennent à des mondes différents du mien. Ils mettent ça sur le dos de l’école. En fait, la rupture elle s’est faite il y a environ deux ans quand j’ai vraiment commencé à me mettre à travailler à Sciences po. »
Sans aucun doute possible, l’école a été et reste un dispositif central non seulement de ces changements internes à l’immigration, mais aussi corrélativement dans la production de nouvelles dispositions culturelles d’individus et de groupes ayant pour effet de diffuser une nouvelle relation à l’immigration.
L’apparition de nouvelles revendications mettant en avant l’identité religieuse comme principe d’identité majeur au sein même de l’espace scolaire a sans aucun doute accru la place stratégique de l’institution scolaire dans sa fonction de socialisation et d’intégration sociale et professionnelle. Mais à y regarder de plus près, les débats sur la laïcité ont été une autre façon de reprendre, plus dramatiquement que les débats précédents, la question de la place de l’immigration et des populations qui en sont issues dans la société et les institutions, et en premier lieu l’école. Pourtant, dans les débats, intéressants mais relativement abstraits, entre partisans et adversaires du « foulard », il a été finalement peu question de l’école et des rapports symboliques que ces enfants et leurs familles nouent avec elle. Certainement parce qu’une nouvelle fois on pensait, à tort ou à raison, qu’une partie de ces populations était devenue un problème pour l’école mais aussi pour la société française, et qu’il était urgent de trouver une solution juridique.
Mais la situation avait la vertu de montrer que la question de l’immigration ne pouvait plus se limiter à une simple gestion de main-d’œuvre et de populations extérieures à l’ordre national français. Les immigrés ont émigré avec leur histoire, et leur présence sur le sol français s’étend, implique et suscite de multiples effets : sociaux, culturels, politiques. Au cœur de cette transformation, que retrace l’histoire sociale de l’immigration, la relation à double sens entre les immigrés (quelle que soit leur nationalité, française ou non) et l’école, dans sa vocation d’intégration sociale et culturelle au symbolisme dominant, occupe une place centrale.
La réussite scolaire des filles, un pur parti pris
Curieusement, les sciences sociales ne se sont quasiment pas emparées de ces questions, qu’il s’agisse de comprendre la complexité des trajectoires scolaires, le rapport à l’école selon l’histoire migratoire et familiale, ou les effets socialement bénéfiques d’une scolarité longue. Sans doute parce que ces analyses sont moins médiatiques et moins gratifiantes que les discours populistes ou misérabilistes sur le malheur immigré.Pourtant, analyser statistiquement par exemple, comme je l’ai fait, la différence de réussite scolaire, entre Français et « étrangers », et au sein de cette dernière catégorie, entre filles et garçons, fait voir à quel point les débats à ce sujet sont souvent proches du pur parti pris idéologique. En témoigne un aspect significatif de cette recherche que je voudrais relater ici très brièvement. J’ai analysé la répartition des élèves de terminales de sept académies (Dijon, Grenoble, Metz, Nice, Orléans, Rennes et Toulouse) lors de l’année scolaire 1989-1990 selon la nationalité et le sexe. L’un des apports de nos résultats est de révéler que la différence de réussite scolaire entre filles et garçons étrangers réside non pas dans l’écart entre les taux de réussite, puisqu’ils sont statistiquement peu significatifs, mais dans la distribution selon le sexe entre les séries. La série est donc une variable déterminante pour les étrangers. Les filles sont massivement présentes dans les filières non scientifiques de l’enseignement secondaire (G, A, B) alors que les garçons, comme leurs homologues français, accèdent d’abord aux filières où les matières scientifiques sont importantes, voire décisives (F, G, C). Encore faut-il préciser que la série G ne doit pas masquer le fait que plus de la moitié de ses effectifs, pour la catégorie étranger, est constituée de filles (478 filles contre 233 garçons). Seule la série D est, pour les Français comme pour les étrangers, celle qui accueille sensiblement le même pourcentage de filles et de garçons. Nous avons ainsi d’un côté un pôle littéraire/ tertiaire (G, A, B), celui des filles, qui s’oppose au pôle des garçons industriel/ scientifique (F, G, C).
Mais il y a plus. Certes, les filles étrangères accèdent en terminale en nombre légèrement supérieur à celui des garçons (elles représentent 1 424 des 2 508 admis d’origine étrangère), mais leur répartition entre les séries est plus inégalitaire que celle des garçons. Autrement dit, ces derniers ont des probabilités d’accès à un plus grand nombre de séries que les filles, qui n’ont que des probabilités relativement réduites d’accéder à d’autres filières que G et A, ces deux filières totalisant à elles seules 855 filles, c’est-à-dire 60 % des effectifs de l’ensemble des sections.
Produire des enfants qui font honneur
Ce travail m’a également permis de faire émerger des questions et des thèmes dont je ne soupçonnais pas l’importance sociologique. Par exemple comment la famille, que l’on se plaît à qualifier d’immigrée, à sa façon et avec la force et les ressources accumulées au fil de son histoire contribue à produire des élèves qu’elle destine, en accord avec l’école, à une longue scolarité. On accède ainsi à une compréhension de l’univers domestique et à ses procédures de transmission d’une morale de l’effort et de la bonne tenue scolaire.Si les parents ne sont bien souvent que d’un faible recours pour les choix fondamentaux concernant la scolarité de leurs enfants, c’est que rien ne permet à ces parents d’être naturellement des médiateurs (entre la famille et le reste de l’environnement) et des interprètes de la complexité du monde – à commencer par la complexité du fonctionnement de l’institution scolaire. Dotés d’expériences différentes de celles de leurs enfants, les parents n’ont pas dans le domaine de l’école de consigne ou de modèle pouvant se traduire concrètement par des réponses du type « voilà comment j’ai résolu ce problème ». Cette défaillance des parents dans l’espace scolaire et social n’interdit pas des scolarités plus ou moins remarquables. Un mot revient très souvent dans les récits que nous avons recueillis pour rendre compte du rôle des parents dans la scolarité de leurs enfants, c’est celui de « présence » : « Ils étaient toujours présents », « Ils ne m’ont pas laissé tomber », « Mon père était tout le temps à la maison, il n’allait jamais au café », « Ma mère, c’est grâce à elle que je suis en fac, quand ça n’allait pas, elle était là », « Ma mère était un vrai télescope, j’étais toujours sous surveillance », etc.
Mon hypothèse est que ces familles sont dotées d’une morale éducative, d’un système éducatif gouverné par une morale de la prudence, de la mise en garde mais aussi et peut-être surtout d’une morale de la persévérance. L’école n’est pas le tout de cette morale, elle n’en est qu’une dimension. Cette éducation, faite de tensions permanentes, ne vise nullement à produire prioritairement de brillants élèves, elle est tout entière tournée vers la production, en terre d’immigration, d’enfants « dignes » de ce nom, des « enfants qui font honneur ». Les enfants « qui ne sont pas perdus » et « qui ne se sont pas perdus ». Elle signe l’existence d’une relation sensée avec le monde, la chose qui donne sens, la chose la plus sensée dans ce monde insensé. Que de fois n’avons-nous pas entendu que l’on pouvait considérer qu’une famille s’en était bien tirée, que les enfants avaient « bien tourné », qu’ils étaient « maintenant des hommes », qu’ils n’avaient « pas fait honte », tout simplement parce qu’aucun d’entre eux n’avait eu affaire avec la police, la justice ou n’était devenu dealer ou toxicomane.
Réussite à l’université et éloignement social
Ainsi, au lieu de répéter ce que l’on sait sur l’échec scolaire des enfants d’immigrés en se plaçant du point de vue de l’école et de ce que celle-ci estime être les critères de la réussite et l’échec scolaire, j’ai mené parallèlement une analyse quasi ethnographique sur le temps des études universitaires. Un temps pensé non seulement comme un moment qui en dit long sur le passé de l’étudiant et de sa famille, mais aussi comme un retour réflexif sur soi s’efforçant de comprendre et de mesurer ce qui a été accompli et la manière dont cela a été accompli.En déroulant différemment le cursus scolaire de ces enfants d’immigrés devenus étudiants, c’est-à-dire en partant de leurs études à l’université et non pas de leur scolarité à l’école élémentaire, mon ambition est de mieux comprendre, analytiquement et empiriquement, la dimension cumulative des conditionnements sociaux. Cette période constituée par le temps des études dans l’enseignement supérieur apparaît comme une période d’intense théorisation de la rupture avec l’ethos du foyer et de la communauté d’origine. Au lycée, et encore plus lors des études supérieures, l’obéissance alternative à deux codes culturels, celui de la famille et celui des groupes d’adoption, devient tout bonnement impossible. Plus la scolarité se prolonge, c’est-à-dire plus elle « réussit » pour ceux qui la prolongent, plus la distance sociale et culturelle s’accroît et finit par devenir incommensurable entre les bien scolarisés et les mal scolarisés, et plus les familles se résolvent à accepter cette distance, à s’en accommoder, à la comprendre en comprenant la métamorphose qui s’est accomplie et que l’école a accomplie sur la personne de leurs enfants. Mais aussi, plus elles peuvent s’en enorgueillir et tirer profit des avantages symboliques de cette remarquable scolarité.
C’est bien pour tenter de comprendre ces multiples transformations morphologiques et les mécanismes qui leur sont liés qu’il m’a semblé nécessaire d’historiciser la question scolaire quand elle est rapportée à l’immigration et aux enfants d’immigrés, et d’examiner cette fois-ci à partir du point de vue des familles, c’est-à-dire de leur confrontation aux impératifs de l’institution scolaire, comment se constitue, avec ou sans héritage scolaire, un double processus de séparation d’avec le groupe d’origine et d’agrégation, problématique mais réelle, aux mondes de la culture dominante.
Un témoignage parmi des dizaines d’autres que j’ai recueillis au cours de mes recherches, celui de Karim.
« A Sciences po, je parle comme les gens de Sciences po. Et puis quand je suis à la cité ou dans ma famille c’est moi qui parle de Sciences po. Mes parents ne savent pas du tout ce que ça représente. La différence se fait au niveau du langage. Chez moi et même dans ma cité, il y a des conduites, des mots et des choses qui m’énervent. Mais je ne dis rien. J’accepte, je sais qu’ils n’ont pas le même univers que moi. Je pardonne. Je ne supporte pas quand ils ont des jugements négatifs sur telle ou telle personne : c’est presque du rejet raciste. Alors je m’oblige à expliquer. Avec mes frères aussi je ne supporte pas leurs rapports aux choses. Comme la question israélo-palestinienne, leur jugement est trop catégorique. Tout ça devient difficile à gérer. Ça devient vraiment difficile. De plus en plus, je sens qu’ils appartiennent à des mondes différents du mien. Ils mettent ça sur le dos de l’école. En fait, la rupture elle s’est faite il y a environ deux ans quand j’ai vraiment commencé à me mettre à travailler à Sciences po. »
Sans aucun doute possible, l’école a été et reste un dispositif central non seulement de ces changements internes à l’immigration, mais aussi corrélativement dans la production de nouvelles dispositions culturelles d’individus et de groupes ayant pour effet de diffuser une nouvelle relation à l’immigration.