Si vous êtes parent, une chose a pu vous surprendre : dans la salle de classe de votre enfant, il y a (probablement) moins d’ordinateurs que dans votre maison ! Votre fille ou votre fils passe certainement beaucoup plus de temps sur son ordinateur à la maison qu’à l’école, au collège ou au lycée. Comment cela est-il possible ? Est-ce grave ?
Pour répondre à ces deux questions, commençons par remplacer le mot « ordinateur » par le mot « télévision ». Dans la salle de classe de votre enfant, il y a (probablement) moins de télévisions que dans votre maison ! Votre fille ou votre fils passe certainement beaucoup plus de temps à regarder la télévision à la maison qu’à l’école, au collège ou au lycée. Tout d’un coup, c’est moins grave, n’est-ce pas ?
Remontons encore un peu dans le temps. En 1913, Thomas Edison s’entretenait avec un journaliste du New York Dramatic Mirror. À la question « Quel est votre avis sur la valeur pédagogique du cinéma ? », le génial inventeur répondit : « Les livres seront bientôt obsolètes dans les écoles. Les élèves recevront un enseignement visuel. Il est possible d’enseigner tous les domaines de la connaissance humaine par le cinéma. Notre système scolaire va complètement changer d’ici dix ans. Nous travaillons depuis un certain temps sur les films scolaires. Nous avons étudié et reproduit la vie de la mouche, du moustique, du vers à soie, de la mite brune, des papillons et d’autres insectes, ainsi que la cristallisation chimique. Nos travaux montrent de façon concluante la valeur des films dans l’enseignement de la chimie, de la physique et d’autres domaines, ce qui rend les connaissances scientifiques, difficiles à comprendre dans les livres, claires et simples pour les enfants. » Comme quoi on peut être génial et dire de grosses bêtises.
Bien entendu, on a pu lire les mêmes discours sur la radio dans les années 1930 et sur la télévision dans les années 1950. Ce qui peut nous conduire à poser différemment la question. De « l’école est-elle irrémédiablement ringarde ? » la question devient « les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont-elles systématiquement inefficaces au plan éducatif ? » Et si oui, « pourquoi ? » Dans cet article je vais tenter de dresser un bref panorama de la place du numérique à l’école, pour montrer que les réponses à ces questions sont très nuancées.
De nouvelles façons de travailler ?
Commençons donc par le commencement. Les technologies de l’information et de la communication démarrent avec l’invention de l’écriture. Elles constituent, d’une part, un moyen pour les humains de soulager leur mémoire, de stocker leur connaissance, d’autre part, un moyen de transmettre leur connaissance, de communiquer avec des personnes qui habitent un autre lieu ou vivent à une autre époque. Socrate, dans Phèdre, montrait bien à quel point il se méfiait de ces nouvelles technologies et de leur effet de soulagement de la mémoire. Sa citation est fameuse : « Elle (l’écriture) ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants. »
Pourtant, ces technologies sont extrêmement efficaces et permettent à l’érudit de ne plus passer sa vie à apprendre par cœur des connaissances dans l’attente du jour où elles lui seront utiles. Ceci, particulièrement, depuis la Renaissance. Auparavant, de l’Antiquité au Moyen Âge, l’érudit était encore celle ou celui qui maîtrisait « les arts de la mémoire » 1, qui savait apprendre par cœur. Les connaissances que l’on risque de ne pas utiliser, on les stocke dans des livres, on les note dans des cahiers. Ces technologies sont tellement efficaces pour soulager la mémoire et transmettre des connaissances que l’on passe beaucoup de temps à l’école pour apprendre à les maîtriser : on y apprend à lire et à écrire. Ce sont essentiellement les technologies de base (le stylo, le livre, la photocopieuse), celles qui concernent le travail quotidien dans la classe, qui ont réellement trouvé leur place au sein de l’école. En entrant à l’école, ces technologies qui ne concernent pas au départ l’apprentissage lui-même, ont un effet sur le travail des enseignants et/ou des élèves. Ce faisant, elles peuvent avoir un effet secondaire sur les apprentissages, les rendant plus précoces, plus rapides, plus efficaces, etc.