« Chez nous, en Suisse, il y a clairement eu un avant et un après Pisa (1). L’enquête, qui a révélé des performances scolaires tout à fait moyennes, a constitué un choc dans un pays qui pensait être doté du meilleur système éducatif du monde », constate le directeur d’un des centres de recherche en éducation de Suisse romande. La Suisse n’est pas une exception. Dans la très grande majorité des pays de l’OCDE, l’enquête sur les acquis des élèves en fin de scolarité obligatoire a créé une onde de choc à la fois médiatique et politique.
Bien que circonscrite à un domaine très spécialisé – l’évaluation des compétences des élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit et en cultures mathématique et scientifique –, l’étude internationale lancée par l’OCDE en 2000 a, tout d’abord, réussi, dans la quasi-totalité des pays participants, à faire la une de la presse dès la publication de sa première vague. Les quotidiens et magazines d’actualité se sont principalement emparés du palmarès des scores nationaux. Objectif : positionner le système éducatif national à l’aune de ce vaste classement planétaire des compétences scolaires. Ainsi, aux lendemains de la publication de la première vague Pisa, le Frankfurter Allgemeine Zeitung titrait « Notes abyssales pour les élèves allemands » (4/12/2001), tandis que Le Monde affirmait : « La France, élève médiocre de la classe OCDE » (5/12/2001), et que le Times s’interrogeait : « Nous ne sommes finalement pas des cancres après tout ? » (6/12/2001).
Au-delà des comparaisons internationales, dans les pays fédéraux, l’enquête a surtout été l’occasion d’une comparaison, voire d’une confrontation entre les régions. En Belgique, les Flamands quasiment en tête du palmarès ont montré du doigt leurs concitoyens wallons arrivés en queue de peloton. De même, en Suisse, le canton de Genève, mecque de la pédagogie, a dû ravaler sa traditionnelle arrogance suite à des résultats médiocres.
L’enquête a également suscité des débats dans des cercles politiques et scientifiques plus restreints. Les structures éducatives traditionnelles ou les choix politiques récents ont été questionnés dans les pays qui n’arrivaient pas en tête. Ainsi, le choc Pisa a-t-il été particulièrement violent en Allemagne, positionnée en bas du palmarès des pays de l’OCDE. La restriction de la journée de cours à la matinée, la faiblesse de l’éducation préscolaire, l’absence de programmes nationaux, la forte décentralisation de l’éducation ont pêle-mêle été accusées d’être responsables de ces résultats médiocres. En Wallonie, les inégalités élevées de niveau entre élèves ne sont devenues un souci politique majeur qu’avec la publication des résultats Pisa. Pisa a également déclenché un vif débat au Danemark qui, au vu de ses performances médiocres, s’est interrogé sur le bien-fondé de ses investissements conséquents en éducation. Le Japon, qui a vu ses résultats Pisa se dégrader, a été marqué également par un débat interne sur son système éducatif. Au total, dans de nombreux pays de l’OCDE, à la faveur de Pisa, l’éducation est devenue l’un des thèmes phare dans les débats publics sur les politiques nationales. La France, quant à elle, est restée pour l’instant quelque peu en marge de ce mouvement. Les résultats du pays aux deux premiers cycles Pisa n’ont pas conduit à une analyse approfondie du système éducatif national, le ministère de l’Éducation préférant diligenter une recherche sur les lacunes de… Pisa. L’analyse de Pisa 2006 pourrait changer la donne, comme le montrent les premières déclarations alarmistes du ministre de l’Éducation, Xavier Darcos, avant même la publication officielle des résultats de l’enquête. Dans certains pays, le choc Pisa a directement suscité des réformes éducatives. Ainsi, en Suisse, l’ambitieux projet Harmos d’harmonisation des structures et de création des standards dans la scolarité obligatoire est-il le fruit de la réflexion suscitée par l’enquête. , observe un chercheur suisse. En Allemagne et au Japon, de nombreuses réformes éducatives ont été également mises en œuvre après Pisa. note aussi une chercheuse anglaiseSi l’OCDE a réussi, grâce au cheval de Troie que constitue son enquête, à s’inviter dans le débat public et la réflexion politique en éducation, certains pays tentent cependant désormais de prendre leur distance par rapport à l’ingérence qu’elle constitue. Ainsi, en Suisse, à la fois pour des raisons budgétaires mais aussi pour limiter l’impact de l’enquête sur l’opinion publique, certains cantons avaient demandé que l’épreuve Pisa 2009 soit allégée. Tout juste minoritaire (10 cantons contre 11), cette position ne l’a finalement pas emportée. En Allemagne, des tests nationaux censés mieux renseigner sur les performances des élèves sont désormais développés. L’impact de Pisa sur le débat public et les politiques nationales d’éducation fait actuellement l’objet d’une étude dans le cadre du projet européen Knowpol. Pourquoi les médias se sont-ils emparés de l’étude ? Existe-t-il des terrains propices à la surmédiatisation de l’enquête ? Pisa déclenche-t-il une nouvelle réflexion politique qui s’accompagne de réformes ou est-il instrumentalisé pour légitimer des décisions déjà programmées ? Autant de questions auxquelles, entre autres, les équipes françaises du consortium Knowpol (l’OSC-Sciences Po avec Agnès van Zanten et le LSE de l’université Grenoble-II avec Nathalie Mons) essaieront de répondre en 2008.
• « Que vaut l’école en France ? »Martine Fournier (coord.), , n° 186, octobre 2007.