« Comment l'école doit-elle utiliser au mieux les moyens dont elle dispose ? Quelles relations établir entre les membres de la communauté éducative ? Faut-il donner davantage d'autonomie aux établissements et accompagner celle-ci d'une évaluation ? Comment, en matière d'éducation, définir et répartir les rôles et les responsabilités respectifs de l'Etat et des collectivités territoriales ? Faut-il redéfinir les métiers de l'école ? » Ces interrogations sont extraites de la liste des vingt-deux questions que la Commission nationale pour le grand débat sur l'école a estimées prioritaires. Elles montrent que désormais, autant que les missions de l'école, les valeurs qu'elle transmet ou les contenus qu'elle enseigne, ce sont les modalités selon lesquelles ces missions, ces valeurs et ces contenus sont mis en oeuvre qui participent à l'état de crise permanente que connaît notre système scolaire. Les processus de décision des politiques éducatives, les modalités de leur application, les modèles dominants d'organisation du travail font l'objet de multiples interrogations.
Pour y répondre, de nombreux responsables politiques ont tenté, depuis le début des années 80, d'appliquer des méthodes empruntées aux théories de la gouvernance. Pour comprendre pourquoi la mise en oeuvre de ces nouveaux principes ne semble pas avoir pour l'instant réussi à stabiliser la situation, il est indispensable de commencer par rappeler le contexte qui en a précédé l'application, et notamment le rôle joué par les méthodes politiques instaurées par le gaullisme au début de la Ve République.
« Un simple segment de l'administration »
De la fin de la IVe République en 1958 jusqu'à la crise de 1968, la vie politique française est marquée par une conception de l'exercice du pouvoir propre au général de Gaulle. Rappelons-la par quelques mots de l'intéressé lui-même : « Certes, il existe un gouvernement qui "détermine la politique de la nation". Mais tout le monde sait et attend qu'il procède de mon choix et n'agisse que moyennant ma confiance [...]. Certes, il y a un parlement [...] mais la masse nationale et moi-même ne voyons rien là qui limite ma responsabilité 1. » De cette conception centralisatrice, autoritaire et charismatique du pouvoir découle une pratique qui restreint la prise des décisions et le contrôle de leur mise en oeuvre à de petits groupes d'experts proches de l'Elysée 2. En matière de politique éducative, les débuts de la Ve République ont en fait constitué la phase ultime d'un processus de centralisation étatique héritée du Premier Empire et de la création des lycées. Après le départ du général, les logiques bureaucratiques si bien décrites par le sociologue Michel Crozier en sont sorties largement confortées : faible autonomie des agents et valorisation du respect des prescriptions et des règles administratives, absence de coopération transversale entre des services conçus pour l'exécution docile des consignes de leurs hiérarchies respectives, automatisme des progressions de carrière sur la base de l'ancienneté. Dans ce contexte, l'établissement scolaire est, pour reprendre l'expression de Lise Demailly, un « simple segment de l'administration 3 ».
Mais les événements de mai 1968 ont fait émerger de nouvelles contraintes sociales et de nouvelles conceptions de la pratique politique qui sont entrées en contradiction avec les méthodes centralisatrices et autoritaires héritées du gaullisme, et par conséquent avec les logiques bureaucratiques qu'elles avaient renforcées. D'une part, l'autoritarisme du général et des gaullistes a été contesté au sein même de la droite. Valéry Giscard d'Estaing sera le principal porte-parole de cette critique qui va devenir une dimension identitaire du centrisme, et dont François Bayrou est aujourd'hui l'héritier. D'autre part, la crainte du potentiel contestataire de la jeunesse lycéenne et étudiante et de ses professeurs est devenue un élément incontournable de tout processus de décision en la matière. Le taux de syndicalisation élevé et l'ancrage majoritairement à gauche des enseignants ont été perçus comme un indicateur permanent de leur forte capacité de mobilisation.