Dans son film à succès, Bowling for Columbine (2002), le cinéaste américain Michael Moore dénonçait l'engrenage infernal d'une violence que génèrent des peurs infondées entretenues par les médias et les hommes politiques. Ce film s'inspire en fait de l'analyse d'un sociologue américain, Barry Glassner, président du Laboratoire de sociologie de la culture au sein de l'American Sociologic Association et auteur d'un best-seller aux Etats-Unis, The Culture of Fear (1999). Il y développe l'idée selon laquelle les Américains vivent sous l'emprise de peurs excessives et souvent fantaisistes, entretenues par d'innombrables « marchands de peurs ». Cette idée d'une « culture de la peur » qui n'épargne pas les sociétés démocratiques n'est pas nouvelle. Les phénomènes de propagande qui la soutiennent ont été amplement décrits et dénoncés, notamment aux Etats-Unis par le linguiste et essayiste américain Noam Chomsky. A sa suite, B. Glassner entend intervenir dans le débat public en gagnant, à travers cet ouvrage accessible et percutant, une audience plus large que celle des milieux académiques. L'auteur analyse d'un point de vue global l'ensemble des facteurs qui concourent à l'instauration d'une culture de la peur. Son approche s'inscrit dans le courant d'une sociologie américaine intéressée par la culture au sens large, celle de la vie quotidienne, de la circulation des idées, des symboles, des produits matériels. Si cette posture est très spécifique aux Etats-Unis, elle trouve un certain écho en France, comme en témoigne un ouvrage collectif, Peurs sur les villes (Puf, 2005), dans lequel plusieurs sociologues réunis autour de Christian Mohanna et Jérôme Ferret décrivent l'instrumentalisation des violences urbaines (voir l'encadré, p. 49).
Selon vous, « la vie des Américains n'a jamais été aussi sûre ». Pourtant, vous mettez en évidence l'existence de peurs excessives et/ou infondées, largement entretenues par les médias. Comment analysez-vous ce paradoxe ?
Je me suis appuyé sur divers supports audiovisuels et écrits : les journaux et les émissions télévisés d'information américains, la presse écrite. J'ai analysé les dangers dont ces médias nous parlent et la façon dont ils sont présentés au grand public. J'ai comparé cette information avec des données scientifiques. Mon travail consistait donc, dans un premier temps, à analyser les estimations les plus sûres de l'occurrence réelle de dangers quotidiens et à les comparer à d'autres dangers dont nous alertent les médias.