Pas moins de 18 000 kilomètres de murs ont été bâtis à travers le monde afin de renforcer les frontières nationales. Entre les États-Unis et le Mexique, entre la Chine et la Corée du Nord, entre l’Arabie Saoudite et le Yémen. La Grèce a commencé la construction d’un mur le long de sa frontière turque pour empêcher l’arrivée de clandestins en Europe. Immobilisés, certains migrants se retrouvent alors placés dans des camps de réfugiés, de déplacés, des zones de transit. Depuis plus de dix ans, l’anthropologue Michel Agier étudie les espaces d’urgence et d’exception que constituent les campements de migrants et les camps de réfugiés, aussi bien en Guinée, Sierra Leone ou Zambie qu’en Cisjordanie ou en Europe. Dans ces lieux à part, rapporte-t-il, la vie s’installe et se développe, des villes ou des ghettos se forment. Les migrants finissent par habiter la frontière et la faire leur. Dans son dernier ouvrage, La Condition cosmopolite(2013), M. Agier invite à reconsidérer les rôles du mur et de la frontière, qu’il voit en tout point opposables. Tandis que la frontière permet la relation et l’échange, le mur fait des migrants des « indésirables » et autorise, dans le cadre des politiques antimigratoires, toutes les violences. M. Agier invite à explorer les possibilités d’une politique de la frontière et de l’hospitalité en lieu et place d’une politique du mur et de l’encampement du monde.
Comment se définit une frontière ?
Nous vivons tous et tout le temps, dès que nous nous déplaçons un minimum, avec des frontières, des seuils, et nous ne cessons d’en franchir. La frontière est un lieu, une situation ou un moment qui ritualise le rapport à l’autre et, en ce sens, nous en avons toujours besoin. Par ailleurs, la frontière fonctionne toujours avec des médiations, tels que des divinités tutélaires et protectrices, des portiers ou des traducteurs. Ces derniers nous permettent de comprendre sur le plan linguistique ou culturel la relation qui se noue entre deux personnes qui ne se connaissent pas mais se rencontrent en une situation de frontière, d’abord incertaine.
Une des situations de frontière le plus souvent rappelées, mais ce n’est la seule, est celle qui sépare les États-nations. Ne pouvant ni entrer sur un territoire ni retourner dans leur pays d’origine, certains migrants se trouvent pris dans des zones d’attente, où la frontière s’élargit dans l’espace car on construit de plus en plus de zones d’attente, de camps et campements de transit, et où elle s’étire dans le temps car les périodes d’indétermination du statut s’allongent pour davantage de personnes. Ces zones créent des moments où l’on ne sait plus très bien qui l’on est ni où l’on est, des moments de latence sociale et identitaire. Le camp est la forme exacerbée de ce type de frontière.