Migrants : panser les plaies de l'exil

L’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a une longue tradition en matière de psychiatrie transculturelle. La consultation psychotraumatisme accueille des exilés, victimes de guerre ou de tortures, dans le respect de leur culture.

Migrants : panser les plaies de l'exil - Les Grands Dossiers des scienceshumaines n°76

© Philippe Lissac /Godong/Getty

Pour les couturiers de l’atelier Filao, organisé par la consultation de psychotraumatismes et maltraitance de l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le jeudi après-midi, c’est sacré ! Une des participantes, caissière, a même posé sa demi-journée. Il est 14 heures, et les habitués arrivent au compte-gouttes dans la salle, louée à la paroisse voisine. Ils installent les machines à coudre mises à leur disposition sur les tables disposées en U. Madame R., sanglée dans son sari carmin, s’excuse dans un français très hésitant : elle est venue avec son fils de 3 ans, Veeran (les noms ont été modifiés). Il a de la fièvre, elle n’a pas osé l’envoyer à l’école. « Pas de souci ! On le connaît depuis qu’il est né, Veeran, c’est peu notre mascotte ! », tranche gentiment Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky. Chercheuse en anthropologie et psychologue clinicienne à l’hôpital, la grande brune anime avec deux autres psychologues cet atelier thérapeutique proposé aux patients suivis dans le cadre la consultation psychotrauma : ils sont une huitaine chaque semaine à faire chauffer les machines.

Madame R. extrait de son sac un épais tissu gris, qu’elle commence à ourler : c’est un tapis de jeu pour son petit garçon. À ses côtés, son amie, Madame K. s’attelle à une paire de rideaux. Été comme hiver, la quadragénaire arbore des lunettes de soleil et un foulard noué autour du cou. Cette ancienne combattante de la mouvance des Tigres tamouls, engagée adolescente, garde sur le corps les stigmates de la guerre civile qui a déchiré son pays, le Sri Lanka, entre 1983 et 2009. « C’est pour elle, à l’origine, qu’on a créé l’atelier en 2021, elle disait toujours : “Je voudrais bien coudre…” Mais aujourd’hui, ce sont les patients qui font vivre cet atelier ! », précise Marie-Caroline Saglio, en jouant au foot avec Veeran pour éviter qu’il passe sa séance sur TikTok. Les patients se déplacent librement dans la salle, parfois échangent quelques paroles concernant leurs créations.

Au fond, de la pièce, une toute jeune femme tamoule s’active en silence. Un mariage violent l’a traumatisée… Elle a gardé son masque, qu’elle n’ôte jamais. Pour Monsieur H. aussi, le regard de l’autre est difficile à soutenir depuis les terribles sévices endurés durant son enfance au Pakistan. Comme à son habitude, le quinquagénaire s’est assis face au mur, dos au groupe. Cette configuration un peu spéciale n’empêche pas l’ancien couturier professionnel, chef officieux d’atelier, de dispenser ses conseils avisés.

« Renarcissiser l’image de soi »

L’isolement social, les troubles du sommeil, de la concentration, de la régulation émotionnelle, l’hypervigilance ou encore la dépression figurent parmi les principaux symptômes du psychotraumatisme, explique Héloïse Marichez, psychologue depuis vingt ans à Avicenne. Cet espace intermédiaire de soin et de socialisation, entre l’hôpital et le dehors, permet aux patients d’apprendre à apprivoiser l’extérieur, et doucement à retisser le lien social, intercommunautaire, notamment. Un moyen aussi « de renarcissiser l’image de soi à travers la réalisation d’objets concrets ».