Ces dernières années, les recherches sur les aliments du bonheur, de la mémoire, du sommeil, déjà bien présentes dans la littérature scientifique, se sont multipliées. En effet, l’intérêt croissant pour l’axe cerveau intestin a offert un terrain propice à l’idée que notre alimentation influe bien au-delà de notre système digestif. Une idée « vieille comme le monde », dès lors légitimée par la découverte progressive (et toujours en cours) des mécanismes complexes qui orchestrent la régulation de notre mental à partir du contenu de nos entrailles. Après tout, notre activité mentale est liée à des processus biologiques fonctionnels ou dysfonctionnels. Dès lors, les micronutriments contenus dans certains aliments, par leur action diffuse, auraient la capacité soit de protéger, soit de mettre en péril les processus en question.
Dans le domaine de la santé mentale, le phénomène prend une ampleur suffisante pour qu’un journal prestigieux tel que le Lancet y consacre un article de synthèse en 2015. Cet article s’ouvre sur le constat que jusqu’ici, l’approche pharmacologique des troubles mentaux, dont l’anxiété et la dépression sont les plus prévalentes à travers le monde, s’est avérée relativement peu efficace. Non seulement à long terme, mais surtout en matière de prévention de ces troubles. Une raison suffisante pour aller sonder ce qui se passe chez les enfants et adolescents, futures victimes toutes désignées a priori. Cela commencerait alors possiblement dès la vie intra-utérine, où les carences en macronutriments importants – protéines, lipides et glucides (notamment en raison de périodes de famine) – pourraient mener à des troubles du comportement dans la petite enfance. Et cela se poursuivrait à l’adolescence où la malbouffe engendrerait une moins bonne santé mentale. Ces relations sont bien sûr complexes et toujours à l’étude, mais les recherches ont le mérite d’attirer l’attention sur l’importance de l’alimentation, dès le plus jeune âge, et des modes d’intervention non pharmacologiques possibles pour améliorer la santé mentale.
Les nourritures affectives
Une telle approche a-t-elle fait ses preuves ? Les données disponibles laissent en effet à penser qu’il s’agit d’une piste prometteuse. Ainsi, dans une méta-analyse parue en 2017 dans la revue Psychiatry Research, 21 études ont été mises en perspectives afin de juger de l’impact du régime alimentaire sur le risque de dépression à l’âge adulte. Il en ressort un effet significatif montrant que le régime alimentaire dit méditerranéen (de l’huile d’olive, des céréales complètes, des fruits et légumes, du poisson…) avait tendance à diminuer le risque de dépression, alors que le régime dit occidental (de la viande rouge, du beurre, des aliments transformés…) l’augmentait. Les auteurs de cette étude soulignent plusieurs mécanismes d’action potentiels pour cette relation favorable.
Premièrement, le fait que les anti-oxydants naturellement présents dans les fruits et légumes ont la capacité de réduire le stress oxydatif des neurones. Deuxièmement, la présence, dans ces mêmes aliments, d’acide folique (vitamine B9) qui a une fonction primordiale dans le développement neuronal. C’est pourquoi les femmes enceintes se voient prescrire systématiquement de l’acide folique sous forme de comprimés. Les compléments de cet acide ont par ailleurs déjà fait leur preuve dans le traitement de la dépression 1. Pour comprendre, il faut savoir que la dépression est liée à une dérégulation dans la synthèse de messagers chimiques entre les neurones appelés neurotransmetteurs, plus particulièrement de l’un d’entre eux, la sérotonine. D’ailleurs, les médicaments dits antidépresseurs sont souvent des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ; c’est-à-dire qu’ils font en sorte que ce messager chimique reste présent plus longtemps, de sorte à réguler les mécanismes de communication entre les neurones. L’acide folique étant un précurseur important pour la synthèse de la sérotonine, c’est en cela que sa présence dans le corps pourrait réduire le risque de dépression. Enfin, la présence de « bonnes graisses », les oméga 3, réduirait les processus inflammatoires et améliorerait la transmission neuronale.
En effet, s’il y a bien des molécules plébiscitées - seules ou en association à une médication « traditionnelle » - pour leurs effets sur les émotions et les fonctions cognitives, ce sont les oméga 3, aussi appelés acides gras, notamment présents dans les poissons. Il y a quelques années déjà, alors que j’assistais à un congrès international de psychiatrie, parmi les « symposiums Pfizer », les « tables de discussion Roche », quelle ne fut pas ma surprise de voir apparaître au programme toute une session sur les oméga 3. Le monde médical se rendait-il compte que la biologie du corps humain ne s’arrêtait pas aux médicaments ?
Pour simplifier, ces acides gras, qui ne sont fabriqués par l’organisme qu’en faible quantité, pourraient notamment participer à une bonne myélinisation des neurones. C’est-à-dire qu’ils renforceraient la gaine, appelée myéline, qui isole les neurones, et permet une conduction optimale, un peu comme celle d’un fil électrique. Les études concernant l’implication des acides gras dans des maladies neurodéveloppementales comme l’autisme, la psychose ou encore les troubles déficitaires de l’attention, se sont multipliées, sans pour autant montrer de résultats cohérents jusqu’ici 2.
Dans d’autres conditions, et aux bonnes doses, ces acides gras semblent cependant participer à ralentir le vieillissement cognitif. En effet, selon une équipe italienne de chercheurs 3, certaines molécules (dont les oméga 3 et la vitamine B9), administrées sous forme de compléments alimentaires, bénéficieraient de preuves jugées suffisantes pour considérer qu’elles participent au bon fonctionnement cognitif chez la personne âgée. L’explosion du nombre de démences (maladies neurodégénératives), l’engouement envers les régimes « anti-Alzheimer » est tangible. Un régime appelé MIND, reprenant grosso modo les principes du régime méditerranéen, est ainsi au centre de toutes les attentions depuis que plusieurs études ont mis en évidence ses effets protecteurs sur le déclin cognitif lié à l’âge, mais aussi sur le ralentissement dans la progression de la maladie d’Alzheimer.
La recette du bonheur est parfois hasardeuse !
Si les études dont nous avons parlé peuvent servir de lignes directrices pour adopter un style de vie plus sain, notamment de meilleures habitudes alimentaires, les promesses grandiloquentes doivent toutefois être nuancées. En effet, l’alimentation n’est qu’un facteur parmi des milliers d’autres (certains sur lesquels nous avons prise, d’autres pas). Aussi, quand les effets de l’alimentation sont passés au crible, les résultats peuvent parfois être… surprenants.
À ce sujet, il faut citer une étude menée en 2013 par deux chercheurs en oncologie et intitulée (traduit) : « Est-ce que tout ce que nous mangeons est lié au cancer ? - Une revue systématique du livre de cuisine ». Les auteurs ont utilisé une méthodologie aussi drôle qu’astucieuse. Partant d’un livre de cuisine, ils ont sélectionné aléatoirement 50 ingrédients communs puis recherché dans une base de données scientifiques de référence les articles étudiant l’effet de ces ingrédients sur la probabilité de survenue d’un cancer. Sur les 50 ingrédients, 40 étaient associés dans la littérature tantôt à un plus grand, tantôt à un plus faible risque de développer un cancer. Au menu : du vin, des tomates, du sucre, du porc, du café, du thé, du sel, du beurre, du pain, du citron, du lait, des œufs, des pommes de terre, des olives, du maïs, etc. Le plus drôle étant de voir que la plupart des ingrédients ont au moins une étude mettant en avant leur potentiel protecteur et une autre mettant en avant leur potentiel néfaste (le café, par exemple, vous sauvera et vous tuera simultanément) ; seul le porc étant considéré par les études complètement néfaste et les olives complètement protectrices.
En prenant un peu de recul, nous pouvons donc affirmer que lorsqu’il s’agit d’isoler les bienfaits de tel ou tel ingrédient, on trouve rapidement à boire et à manger ! ●
L’axe cerveau – intestin
Popularisé par un best-seller, Le charme discret de l’intestin (G. Enders, 2014, Actes Sud), l’axe cerveau-intestin suscite un intérêt croissant des scientifiques et du grand public. En anglais gut microbiota-brain axis, il se réfère à un réseau bidirectionnel de communication entre l’intestin et le cerveau.
La compréhension de ce réseau à double voie entre nos entrailles et notre vénérable cerveau reste encore mystérieuse pour certains aspects de son fonctionnement. Mais les chercheurs ont pu identifier que les 100 trillions de bactéries du corps humain adulte (dont 80 % dans l’intestin) étaient à la fois influencées dans leur composition et leur organisation par des événements de vie, comme le stress, influence qu’on pensait limitée au système nerveux central (le cerveau). Mais aussi, qu’en retour, la qualité de cette joyeuse colonie appelée microbiote avait une influence sur la santé mentale (notamment l’anxiété). Toutefois, la plupart des études sont pour le moment limitées à l’animal 4. ●