C’est une petite école, toute de guingois, nichée dans le cœur historique d’Auxerre. Quelques feuilles dorées traînent dans la cour déserte. Les pigeons s’y dandinent paisiblement. Dehors, le quartier est silencieux, plongé dans une torpeur toute balzacienne. Tout à coup, branle-bas de combat ! Les CE1-CE2 débarquent. En quelques instants, l’espace se transforme en champ de bataille. Joyeux, bruyants, hurlants : enfin le droit de courir et de crier ! C’est bien là d’ailleurs l’origine de la récréation, un mot attesté dès le 15e siècle pour désigner ce « temps de repos accordé aux écoliers ». Reconstruire ses forces pour se « recréer » avant de reprendre la discipline scolaire : les pères de l’école ne s’y sont pas trompés. Dès 1866, Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, impose un temps de repos pour chaque demi-journée. Il est aujourd’hui fixé à « environ 15 minutes en école élémentaire et 30 minutes en école maternelle » selon l’arrêté du 9 novembre 2015.
La récré a longtemps été un simple moment de liberté pris dans l’espace public. La scolarité se faisait en effet dans des bâtiments modestes, qui faisaient aussi office de logement du maître et de mairie. Il faudra attendre des décennies avant que lui soit consacré un lieu dédié : la célèbre « cour de récré ». À l’origine simple carré bétonné, facile à surveiller, elle s’est enrichie avec le temps : toboggans en maternelle, jeux peints au sol, ou même petits coins de nature. Cette cour n’est toutefois pas obligatoire. Le 10 mars 2010, le Conseil supérieur de l’éducation, statuant en formation contentieuse et disciplinaire suite à un conflit entre le rectorat et une école privée, rappelait qu’« aucune disposition législative ou réglementaire n’impose l’obligation d’une cour de récréation pour l’ouverture d’une école ». Mais elle est devenue la norme.
Le domaine des enfants
De son origine, cette cour de récré a gardé un statut singulier au sein de l’enceinte scolaire : elle reste considérée comme un lieu qui appartient avant tout aux enfants. Bien sûr, les maîtres et maîtresses la surveillent. Mais ils n’y organisent pas (ou peu) les activités, d’autant qu’ils en profitent eux-mêmes pour faire une pause, bien méritée. On les voit bavardant en petits groupes, se réchauffant un café à la main. Les enfants, eux, se consacrent avec sérieux à leur activité principale : le jeu. Seuls les plus grands font mine de bavarder paisiblement, assumant leur statut de futurs collégiens. Et encore ne résistent-ils pas longtemps à s’arracher un bonnet et courir le rattraper. Nombre de ces jeux, comme la marelle, la corde à sauter ou les billes, ont traversé les siècles, raconte Christine Brisset, maîtresse de conférences à Amiens (L’École des parents, 2019/2). Ils se transmettent par les grands frères, les grandes sœurs, voire les parents ou grands-parents, parfois transformés par le marketing – comme les toupies revenues à la mode sous leur forme lumineuse. Mais à défaut d’objets, tout est propice à jouer – surtout si ce n’est pas prévu pour. Dans la cour auxerroise, les deux marelles peintes au sol sont superbement ignorées des joueurs. En revanche, le boîtier de l’alarme à incendie constitue de toute évidence un objectif parfait pour l’envoi des billes. Au grand désespoir d’une des maîtresses : « Ils ne jouent pas comme il faut », se désole-t-elle !