Existe-t-il des classes sociales européennes ?

Une équipe de sociologues essaie d’identifier des classes sociales en Europe. Mais leur entreprise se heurte aux particularités nationales.

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Dans un récent ouvrage, trois chercheurs, Cédric Hugrée, Étienne Penissat et Alexis Spire se demandent s’il existe des classes sociales en Europe, au-delà des clivages nationaux (Les Classes sociales en Europe, 2017). Leur démarche ne manque pas d’ambition, car l’échelle géographique retenue, l’Union européenne, est vaste. Par ailleurs, des chercheurs se montrent critiques quant aux études sur les classes sociales. En France, par exemple, ces approches suscitent des débats. (voir encadré Les débats en France)

Les trois chercheurs partent d’un constat : des transformations socioéconomiques s’opèrent en Europe ; elles dépassent les spécificités de chaque pays. Il s’agit par exemple du tournant libéral et managérial des États. Il impose la rigueur budgétaire aux organismes publics, ce qui peut conduire à des licenciements (par exemple, dans des pays comme la Grande-Bretagne) ou encore à déléguer tout ou partie d’un service public à des entreprises privées. Les Européens en subissent les conséquences : augmentation du coût des soins, restriction des conditions d’accès à la protection sociale (assurance chômage, retraite, maladie…).

Les débats en France

Après avoir connu une période de reflux dans les années 1980-1990, les études sur les classes sociales se développent de nouveau en France à partir des années 2000. Et pour cause, les chercheurs constatent que la dynamique de moyennisation de la société s’est enrayée, que les inégalités socioéconomiques se maintiennent et que le sentiment d’appartenir à une classe sociale ne diminue plus depuis trente ans. Les classes sociales existent encore, mais elles ne ressemblent plus à celles d’hier. Des groupes se distinguent selon des caractéristiques socioéconomiques (revenu, statut professionnel, diplôme), mais aussi selon le genre ou la « race ». Les individus n’appartiennent pas à un seul d’entre eux, mais à plusieurs simultanément. Les inégalités se cumulent, constatent des chercheurs comme Nicolas Duvoux. Certains sociologues proposent de réexaminer la définition des classes. Par exemple, Marco Oberti et Olivier Cousin encouragent une « approche socioterritoriale ». Les classes reposeraient sur des caractéristiques socioéconomiques classiques (revenu, diplôme, statut professionnel), mais aussi sur le lieu de résidence qui crée de fortes disparités (milieu urbain, rural ; banlieue pavillonnaire, cité HLM, centre-ville).

Pour aller plus loin

  • Les Inégalités sociales
    Nicolas Duvoux, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2017.
  • « Les classes sociales sont de retour ! »
    Louis Maurin, www.inégalités.fr, 2015.
  • « La Fin des classes sociales ? »
    Marco Oberti et Bruno Cousin, Les Grands Dossiers des sciences humaines, n° 44, septembre-octobre-novembre 2016.

Autre exemple, en matière de formation, le processus de Bologne initié en 1998 a abouti en 2010 à la création d’un espace européen de l’enseignement supérieur. Chaque pays membre attribue les mêmes titres scolaires, dans les mêmes conditions (système LMD – licence en trois ans, master en deux ans et doctorat en trois ans), ce qui contribue à homogénéiser les conditions d’accès à une profession.

Ces transformations contribuent-elles à réduire, maintenir ou augmenter les inégalités ?, se demandent les auteurs. Peut-on identifier des classes sociales identiques dans tous les pays européens ?

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Un nouvel outil d’analyse

Les chercheurs peuvent maintenant répondre à cette question grâce à la création d’un nouvel outil. Jusqu’à présent, il était difficile d’étudier la composition de la population européenne, car les classifications en groupes socioprofessionnels divergeaient d’un pays à l’autre. Après plusieurs années de travail, une classification internationale, l’« European Socioeconomic Groups » (ESeG), a été adoptée en 2016.

La classification européenne des groupes socioprofessionnels

En 2016, l’Institut européen des statistiques Eurostat a adopté une classification appelée ESeG (European Socioeconomic Groups). Elle se fonde sur la profession (suivant les classifications du BIT), le statut d’emploi (salarié ou indépendant) et le secteur d’activité (industrie, services, agriculture…). Neuf groupes la composent :

  • les cadres dirigeants (chefs d’entreprise, cadres dirigeants salariés et gérants) ;
  • les professions intellectuelles et scientifiques aussi appelées « cadres experts » (ingénieurs, médecins, cadres administratifs, financiers et commerciaux, professionnels de la justice, des sciences sociales et de la culture) ;
  • les professions intermédiaires salariées (comptables, commerciaux, infirmières, enseignantes, travailleurs sociaux, informaticiens et techniciens, policiers, guichetières…) ;
  • les petits entrepreneurs (artisans, exploitants agricoles, commerçants…) ;
  • les employés qualifiés (aides-soignantes, gardes d’enfants, employés de commerce et de services) ;
  • les ouvriers qualifiés (conducteurs de machines, chauffeurs, ouvriers qualifiés de la construction, de l’artisanat, de l’alimentation, de la métallurgie, de l’électronique…) ;
  • les professions salariées peu qualifiées (agents d’entretien, ouvriers agricoles, manœuvres…) ;
  • les retraités ;
  • les personnes sans emploi (étudiants, chômeurs et autres personnes de moins de 65 ans hors du marché du travail).

Une trentaine de sous-groupes permet de préciser le contenu de ces neuf catégories.


Pour aller plus loin

  • « L’Union européenne, un espace social unifié ? » , Cécile Brousse, Les Actes de la recherche en sciences sociales, n° 219, 2017/4.
  • « Les Européens au travail en sept catégories socioéconomiques », Michel Amar, François Gleizes et Monique Meron, in Insee, La France dans l’Union européenne, 2014.