C’est à travers le conflit, plutôt que par le partage, que les relations humains-animaux sont souvent abordées. Notre approche géographique de ces relations tente de dépasser la vision hiérarchisant les humains par rapport aux animaux et aux végétaux, en étudiant la place et les territoires de chacun dans l’espace et dans le temps.
Des touristes et des singes
En Ouganda, le parc national de Kibale (créé en 1993, 795 km2) héberge aujourd’hui la plus grande biomasse de primates au monde. Auparavant, la forêt était ponctuellement habitée et utilisée par les populations locales. Elle a aussi été exploitée commercialement pour son bois dans les années 1970, et a servi de refuge pour les humains lors de la dictature d’Idi Amin Dada. Les conflits armés et les habitants de la forêt ont alors décimé une partie de sa faune sauvage. Aujourd’hui, le parc (dont les limites administratives correspondent à la partie forestière) est placé sous l’égide du ministère du Tourisme, de la Nature et des Antiquités. Il est géré par l’Uganda Wildlife Authority (UWA), soulignant le rôle du tourisme de nature dans l’économie nationale. Le tourisme est en effet la deuxième source de revenus du pays : il est ici dédié à la vision des primates, notamment des chimpanzés (menacés d’extinction, placés sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature - UICN). L’UWA n’hésite pas à proclamer Kibale « capitale régionale », voire « internationale » de cette activité.
Le parc est entouré d’une très forte densité de population humaine, en particulier au Nord, et de nombreuses activités prennent place à sa lisière (notamment l’agriculture avec des plantations de bananes plantain, d’eucalyptus et de thé). Une route goudronnée très fréquentée le traverse. Deux ethnies majoritaires autour du parc (Batooro et Bakiga) pratiquent principalement l’agriculture de subsistance. Si elles n’ont plus le droit d’accéder librement à la forêt et à ses ressources, les communautés locales reçoivent en principe 20 % des revenus générés par les entrées des touristes dans le parc, censés compenser les dommages causés par la faune sauvage dans les jardins vivriers en bordure de ce dernier. Elles peuvent aussi pratiquer des activités traditionnelles « réglementées » dans certaines zones.
Nos travaux se concentrent sur le site de Sebitoli (25 km), situé à l’extrémité nord du parc. Il constitue un site d’étude orignal pour analyser les territoires végétaux, humains et animaux le long d’une lisière agro-forestière séparant un territoire protégé (le parc) d’un territoire qui ne l’est pas (celui des populations humaines). Une station hébergeant des écogardes de l’UWA est située dans cette zone. Des recherches scientifiques et des activités de conservation de l’habitat et des chimpanzés y sont conduites depuis 2008 par le Sebitoli Chimpanzee Project – SCP (dirigé par S. et J.M. Krief).