Mariage pour tous, procréation médicalement assistée ouverte aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires, revendication de liberté et d'égalité au sein du couple… La famille a connu ces dernières décennies de nouvelles évolutions majeures, note François de Singly, dans la septième édition de sa désormais traditionnelle synthèse consacrée à la sociologie de la famille réactualisée et rebaptisée pour l’occasion Sociologie des familles contemporaines (2023). Un pluriel qui témoigne de l’importance des mutations actuelles ! Auteur de nombreux ouvrages sur le couple, les enfants, l’éducation et les rapports de genre, le sociologue s’appuie sur les nombreuses enquêtes réalisées ces quarante dernières années avec plusieurs équipes du CNRS et du Centre de recherche des liens sociaux (Cerlis), dont il a été directeur jusqu’en 2013.
« J’essaie de faire une sociologie qui, sans oublier le poids des identités statutaires, analyse comment se combinent les facettes de l’identité », confiait-il à Sciences Humaines en 2007. Dans cette nouvelle édition, toujours articulée sur les tensions contradictoires qui traversent les familles, F. de Singly souligne le poids croissant d’un individualisme qui ne pourrait exister sans la richesse de liens relationnels devenus de plus en plus diversifiés. Débarrassée des contraintes traditionnelles qui voyaient le couple hétérosexuel comme le modèle incontournable, la famille, devenue à la fois plurielle et élargie donnerait-elle la primauté aux liens électifs ?
Vous situez l’apparition de la famille moderne au début du 20e siècle. Qu’entendez-vous par là, et quelles sont les grandes évolutions survenues depuis ?
La « famille moderne », qui apparaît en France dans les années 1920, est la famille dans laquelle s’est instaurée une logique relationnelle. Elle se caractérise notamment par la valorisation de l’amour conjugal et le passage du mariage arrangé au mariage amoureux. Dans le même temps, elle reste marquée par une forte dimension institutionnelle, c’est-à-dire un mariage et des relations familiales sous des formes préétablies.
À partir des années 1960, la logique affective devient dominante dans la relation conjugale et entre parents et enfants. Cette période se caractérise, d’une part, par la montée des divorces (par consentement mutuel en 1975) et, d’autre part, par la centration sur l’enfant, dans le cadre d’un couple très majoritairement hétérosexuel. C’est ce que j’ai appelé le passage à la famille « moderne 2 » 1. Ces années sont également marquées par des changements décisifs concernant la place accordée aux femmes et aux enfants, qui cessent d’être considérés comme socialement mineurs. Ce qui ne va d’ailleurs pas sans tensions : la demande d’attention permanente à l’enfant contrevient à l’émancipation des femmes, de plus en plus nombreuses à travailler à l’extérieur.
Le passage à la « famille moderne 3 », qui intervient autour des années 2000-2010, est sous-tendu par une forte critique sociale : les enquêtes soulignent l’absence de partage des tâches dans le foyer et le fait que les hommes ne s’y mettent toujours pas ! Une situation devenue intolérable. Il faut attendre 2010 pour que la notion de « charge mentale », introduite dans les années 1970 par la sociologue Monique Haicault 2, s’impose dans les médias.