Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix. » Lorsque Pierre Mendès France prononce ces mots devant l’Assemblée nationale en 1953, il aspire à la fonction de président du Conseil, plus haute sphère du pouvoir sous la IVe République. Les sciences sociales lui donnent-elles raison ? Une décision politique peut être considérée comme le point d’aboutissement d’un processus, allant de la formulation d’un problème à l’élaboration d’outils pour le résoudre. Elle peut aussi être envisagée comme un point de départ, à partir duquel seront fixées les prochaines échéances de l’action publique. Comme le résume la politiste Charlotte Halpern, « la décision publique est le produit d’un arbitrage constant entre faisabilité politique et rationalité économique ou technique, de l’articulation entre policies et politics, entre l’action politique et ses publics 1. »
La sociologie et l’économie ont d’abord présenté la prise de décision politique comme le fruit d’acteurs rationnels. C’est la théorie qualifiée de « classique » par C. Halpern. Mais ce principe est contesté par l’émergence d’autres études depuis les années 1950, comme les travaux du sociologue et économiste Herbert Simon sur « la rationalité limitée ». Dans le domaine de la politique internationale également, l’idée d’un acteur rationnel, calculant par exemple les coûts et les gains attendus d’une entrée en guerre avec un autre État, a d’abord été prédominante. « Si ce modèle est tant répandu, c’est parce que sa capacité explicative est indéniable », estime le politologue étasunien Graham Allison 2. Selon lui, elle présente néanmoins des lacunes qui ne permettent pas de se saisir de décisions qui sont jugées irrationnelles par les autres forces en présence, comme ce fut le cas avec Hitler en 1938 ou avec Saddam Hussein lors de l’invasion du Koweït en 1990. « Les jugements de valeur, les valeurs et idéaux auxquels tient un État influencent les objectifs et les buts poursuivis par cet État, et déterminent les aspects de la réalité auxquels l’État accordera de l’importance. » Il revient notamment sur les facteurs qui mènent aux décisions de John Kennedy et de son gouvernement dans un contexte d’escalade avec l’URSS et conteste la théorie de l’acteur rationnel, mettant en avant d’autres facteurs comme la culture des institutions américaines, ou l’importance du contexte de politique intérieure aux États-Unis.