Harlow et l'attachement

Ce n’est pas le sein nourricier, mais le contact sécurisant qui se trouve à la racine d’un développement affectif normal. En le démontrant avec des singes, Harry Harlow a contredit Freud mais contribué, avec John Bolwby, à l’essor de la théorie de l’attachement.

Après la Seconde Guerre mondiale, il y avait un si grand nombre d’orphelins que les pédiatres et les psychanalystes ont été amenés à se poser un problème, auparavant impensable : l’importance de la carence affective dans les troubles du développement.

Au XIXe siècle, Jean Itard avait tenté de rééduquer l’enfant « sauvage de l’Aveyron ». Donald Woods Winnicott, en 1930, avait repéré l’importance de l’environnement au cours des premiers mois de la vie, mais c’est la guerre de 1940 qui avait démontré, dans une sorte d’expérimentation tragique, que les nourrissons privés de mère ou placés dans des institutions sans relations affectives souffraient d’hospitalisme ou de dépression anaclitique.

René Spitz (1887-1974) cite 28 expériences d’éthologie animale où Konrad Lorenz, Niklas Tinbergen et Harry Harlow côtoient Darwin et les fondateurs de la psychanalyse comme Sigmund Freud, Otto Fenievel et Serge Lebovici. Inspiré par cette attitude à la fois théorique, clinique et expérimentale, John Bowlby (1907-1990) établit une corrélation entre les enfants privés de soins maternels et leurs graves troubles organiques et psychologiques. Les dirigeants d’institution ont mal accueilli ce rapport qui les rendait responsables du mauvais développement, et les féministes ont refusé l’idée que la carence maternelle pouvait expliquer les retards de développement et la délinquance des enfants.

Les explications linéaires où une seule cause provoque un seul effet mènent à ce genre de contresens. Dès 1932, à l’université de Wisconson-Madison, Harry Harlow (1905-1981) avait démontré que les singes et les rats, lorsqu’ils étaient en groupe, mangeaient plus que lorsqu’ils étaient seuls. Ce genre de raisonnement qui est banal aujourd’hui était difficile à penser dans les années 1930, où l’on pensait qu’un individu seul pouvait se développer sereinement quel que soit le milieu. Alors que, depuis les descriptions cliniques des enfants sans familles et les expérimentations éthologiques de Harry Harlow, on prouve sans peine qu’un individu seul tombe malade de solitude et altère tous ses développements.

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On ignorait en 1950 que de nombreuses autres variables pouvaient « câbler un développement ». L’interaction se fait quand l’environnement s’imprègne dans le système nerveux. De plus, prendre un modèle animal pour expliquer comment un milieu sculpte un cerveau et gouverne l’expression des émotions, était impensable à l’époque où l’on postulait que l’homme n’avait rien à voir avec l’animal. Freud avait pourtant obtenu le prestigieux prix Goethe pour son étude naturaliste sur la sexualité des lamproies (anguilles de mer) et son travail pour une psychologie scientifique à l’usage des neurologues, que les psychanalystes avaient mis à l’ombre. C’est dans un tel contexte culturel de la connaissance que Harlow a mis au point une méthode expérimentale permettant d’observer que des singes macaques développaient des comportements très altérés quand, expérimentalement, on appauvrissait leur milieu en diminuant les stimulations sensorielles et les pressions affectives.