Histoire. Individus, événements, ruptures...

«Je fais l'histoire globale d'une société, la société féodale », déclarait Georges Duby dans un entretien à Sciences Humaines, en 1991. Faire une « histoire totale », telle était l'ambition des historiens des Annales, courant initié par Lucien Febvre (1878-1956) et Marc Bloch (1886-1944). Des années 30 aux années 80, la fécondité des productions a provoqué l'admiration des communautés historiennes, bien au-delà de nos frontières. A tel point que l'on a parlé d'hégémonie, de triomphe des Annales.

En 1987, dans L'Histoire en miettes, François Dosse dénonce les menaces qui pèsent sur le projet historiographique des Annales. C'est le moment historique du « tournant critique », dont la revue Les Annales donne acte en 1988 par deux éditoriaux de Bernard Lepetit, affirmant un renouvellement nécessaire qui prenne en compte « les nouvelles méthodes de la recherche historique » : les échelles d'analyse, la prise en compte des acteurs individuels, et l'écriture de l'histoire.

Aujourd'hui, l'affaiblissement du courant des Annales est manifeste, si l'on en juge par la diversité des travaux publiés depuis dix ans. Plusieurs facteurs ont contribué à ces changements. D'une part, comme l'explique Jacques Le Goff, « l'histoire sociale subit les incertitudes qui affectent l'ensemble des sciences sociales et de la société toute entière »1. C'est la conception même de la science qui s'est modifiée. Avec la disparition des grands paradigmes, comme le structuralisme ou le marxisme, les sciences sociales ne cherchent plus à établir des lois et l'historien se retrouve dans « une posture modeste d'artisan, peu enclin aux idées générales »2. D'autre part, de nouveaux courants sont apparus. La micro-histoire, venue d'Italie, l'histoire culturelle s'appuyant sur les représentations, le linguistic turn américain qui a induit de fortes interrogations épistémologiques sur la discipline, l'histoire politique réinstaurant l'événementiel et la notion de ruptures...