Inceste, la levée d'un tabou ?

En 2021, Camille Kouchner révèle l’inceste subi par son frère dans son adolescence. Pourtant, les faits étaient connus depuis des années par des proches de la famille. Pourquoi est-il si difficile de parler d’inceste ? Combien de personnes en sont-elles victimes ? La situation évolue-t-elle ?

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Qu’est-ce que l’inceste ?

De manière générale, l’inceste qualifie les relations sexuelles prohibées en raison de liens de parenté existant entre les partenaires. Le mot est dérivé du latin incestum, soit « non chaste », qui s’appliquait aussi au sacrilège religieux. La prohibition de l’inceste est universelle, comme l’ont montré les anthropologues dès le 19e siècle. Ils la considèrent comme une donnée structurante des sociétés humaines. Sa transgression, même entre adultes consentants, est moralement condamnée, voire réprimée. Diverses théories ont été proposées pour en expliquer la fonction. Une des plus couramment admises est celle de Claude Lévi-Strauss : dans sa thèse sur « Les structures élémentaires de la parenté » soutenue en 1948, il considère la prohibition de l’inceste comme une injonction positive à prendre femme hors du groupe familial et de ce fait à établir des liens d’alliance avec d’autres groupes. La définition des liens de parenté frappés d’interdit varie selon les sociétés et les époques. En France, les prescriptions existant avant la Révolution conduisent à interdire les mariages jusqu’au septième degré de parenté, avec toutefois des possibilités de dérogation, comme en témoignent au 18e siècle les nombreux mariages entre cousins. Les prohibitions concernent aussi les liens spirituels : ainsi, l’Église catholique a longtemps interdit l’union entre des parrains/marraines avec leurs filleuls.

La conception de l’inceste évolue profondément au cours du 19e siècle. En France, la laïcisation du droit voulue par les révolutionnaires entraîne la disparition de la notion d’inceste du vocabulaire juridique (jusqu’à son rétablissement récemment). Elle conduit aussi à l’allègement des règles d’interdiction des mariages. Toutefois, la prohibition morale des unions entre apparentés persiste dans les mentalités. Ainsi, les couples incestueux croisés par l’historienne Fabienne Giuliani dans son ouvrage Les Liaisons interdites. Histoire de l’inceste au 19e siècle (2014) choisissent en général de vivre à l’écart, comme dans le cas de ce jeune homme de 25 ans qui quitte son épouse âgée pour s’installer avec la fille de cette dernière. Le fondement religieux et moral se double désormais d’une crainte biologique, le corps médical s’inquiétant des dangers de la consanguinité.

Dans la société bourgeoise du 19e siècle, c’est toutefois en tant que violence sexuelle intrafamiliale que l’inceste est réprimé. D’une part, ces violences déstabilisent la famille, considérée comme la pierre angulaire de la société. D’autre part, à la fin du 19e siècle, l’enfant devient considéré comme un être vulnérable à protéger. Même si le terme d’inceste n’est plus employé dans le droit, en pratique ces violences sont réprimées. Créé en 1810, le code pénal punit d’une peine particulière les viols et attentats à la pudeur commis par personnes ayant autorité. À partir de 1832, un âge minimal de 11 ans est fixé en deçà duquel tout acte sexuel avec un enfant est considéré comme un viol. Cet âge sera progressivement relevé.

Si l’inceste est reconnu en tant que violence sexuelle, il est en pratique peu sanctionné, comme le souligne F. Giuliani. Après des peines lourdes prononcées au début du 19e siècle, la justice tend de plus en plus à excuser ces actes au nom de la culpabilité de l’enfant (jugé vicieux, aguicheur ou accusé de n’avoir pas résisté). Il est vrai que les accusés, tout comme les juges, les experts, les avocats ou les jurés sont dans leur presque totalité des hommes. Peu à peu, ces violences sexuelles deviennent taboues (multiplication des jugements à huis clos, ou emploi de formules euphémisées pour les désigner). Les faits d’inceste ne commenceront à être dénoncés publiquement que dans les années 1980. En 1986, Eva Thomas est la première victime d’inceste à témoigner à la télévision.

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Que dit le droit ?

Après deux siècles d’absence, le mot « inceste » est entré dans le vocabulaire juridique moderne, à l’occasion de la loi de 2010 puis de la loi de 2016, définissant les viols et agressions sexuelles incestueux. Récemment, la loi du 21 avril 2021 « visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste » a fait évoluer la définition et les sanctions de ces faits.