◊ L’Écriture et la Différence, Jacques Derrida, 1967.
◊ La Condition postmoderne, Jean-François Lyotard, 1979.
Jacques Derrida (1930-2004)
Né en Algérie, il rentre, après la guerre, au lycée Louis-le-Grand, où il rencontre Pierre Bourdieu, Michel Deguy, Michel Serres. Il est ensuite invité à enseigner à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm par Jean Hyppolite et Louis Althusser. En 1967, il publie De la grammatologie, La Voix et le Phénomène et L’Écriture et la Différence. Jacques Derrida commence alors à donner des cours et des conférences dans le monde entier.
Jean-François Lyotard (1924-1998)
Étudiant à Louis-Le-Grand puis à la Sorbonne, il obtient l’agrégation de philosophie en 1950. Commence aussitôt une double vie d’enseignant et de militant. Nommé, de 1950 à 1952, au lycée de Constantine, en Algérie, il y devient syndicaliste. Parallèlement, sa carrière d’enseignant le mène de la Sorbonne à Nanterre où il participe, en 1968, au Mouvement du 22 mars animé par Daniel Cohn-Bendit, puis à l’effervescente université expérimentale de Vincennes, à laquelle il sera rattaché jusqu’en 1998.
L'Écriture et la Différence, 1967. Jacques Derrida
“Une trace ineffaçable n’est pas une trace.”
Dans l’histoire de la philosophie, Jacques Derrida s’inscrit d’une façon bien singulière. Menant un long et minutieux travail de relecture des textes philosophiques, il ne cherche en vérité qu’à déchiffrer, dans les marges et entre les lignes des discours, un tout autre texte que celui qui se donne à lire. Ce travail porte un nom : la « déconstruction ». Notion utilisée par Martin Heidegger, la déconstruction a eu un grand succès aux États-Unis. Mais c’est à Derrida qu’il incombe d’en avoir théorisé la pratique, lui conférant une renommée internationale. Loin d’être une méthode que l’on pourrait appliquer selon des règles, la déconstruction est le principe de ruine logé au cœur de tout discours et de toute construction. Ce n’est pas une destruction. Déconstruire un texte, c’est interroger ses présupposés pour ouvrir une nouvelle lecture, une nouvelle interprétation. Ainsi, Derrida parvient à faire dire aux textes ce qu’ils ne semblaient pas dire jusque-là. Dans L’Écriture et la Différence, Derrida fait apparaître que la tradition philosophique n’a cessé de subordonner à la présence de la parole vive l’écriture, comprise comme un supplément technique et artificiel sans substance. En effet, la pensée occidentale, de Platon à Rousseau, pense atteindre le sens ultime des choses à travers le logos (la raison, la loi, le discours) qui s’exprime de façon naturelle à travers la parole. L’objectif étant alors de libérer l’écriture de sa présupposée secondarité à la parole qui occulte, selon Derrida, le rôle médiateur et structurant de l’écriture sur la pensée. C’est alors une illusion de croire que l’esprit peut accéder immédiatement au sens sans la médiation du langage. Jamais nous ne pouvons accéder immédiatement ni à ce que nous sommes ni à ce que voulons dire. Toute intention doit passer d’abord par un processus de significations qui suppose deux conditions : un déploiement dans le temps, qu’il appelle « différance » (1), et l’inscription dans des « traces », c’est-à-dire des éléments matériels qui se combinent dans un système de signes. C’est là le cœur de la théorie derridienne du langage. Prendre conscience que ce je pense implique une durée durant laquelle je me transforme. Je ne suis alors déjà plus le même au terme de mon énoncé. Il en est de même pour ce que je veux dire. Ce que j’énonce dépasse toujours ce que je croyais vouloir dire.
La Condition postmoderne, 1979. Jean-François Lyotard
Le soi est peu, mais il n’est pas isolé, il est pris dans une texture de relations plus complexes et plus mobiles que jamais.
Introducteur du terme « postmoderne » en philosophie, Jean-François Lyotard est le penseur qui incarne le mieux les propositions les plus décisives de ce courant. Dénonçant les pensées « totalisantes » que représentent pour lui le marxisme, la psychanalyse freudienne, le structuralisme et la phénoménologie, Lyotard refuse d’adhérer aux « grands récits » de la modernité. Pour lui, les Lumières n’ont pas amorcé une histoire de l’homme qui irait dans le sens d’une émancipation progressive tout comme la science, la politique et les arts ne jouent pas forcément un rôle en adéquation avec ce progrès. Affirmer la fin des « métarécits » de la modernité qui donnaient le sens ultime des croyances et des actions humaines, c’est, pour Lyotard, l’occasion d’ouvrir la voie à une nouvelle ère : la postmodernité.
Face aux horreurs du xxe siècle (guerres, régimes totalitaires), Lyotard publie en 1979 La Condition postmoderne, où il développe sa théorie critique des idéaux progressistes et rationalistes. Considérant l’écroulement des régimes communistes comme une confirmation de la pensée postmoderne, Lyotard explique qu’il ne faut plus attendre de la science et des grandes idéologies politiques un avenir meilleur. La fin des grands récits est alors une crise du discours. Les discours scientifiques, politiques ou artistiques ne visent pas une finalité unique. Ils sont pluriels, différents, parfois contradictoires. Autrement dit, la vérité scientifique ne va pas automatiquement de pair avec le « juste » visé par la politique ou le « beau » de l’exercice artistique. Au contraire, chacun de ces domaines détient un critère qui lui est propre. Il s’agit alors d’assumer le caractère fragmenté de la société qui porte en son sein des codes sociaux et moraux fondamentalement incompatibles. Dans le monde postmoderne, explique encore Lyotard, chacun doit s’accommoder des différences culturelles de l’autre au détriment d’une conception unifiée du monde.
Les philosophes de la postmodernité
Appelés aussi les philosophes de la différance, ce sont ces quatre philosophes qui ont contribué, à partir de 1965, au dépassement du marxisme et du structuralisme à travers une critique qui, dans sa forme radicale, aboutit au postmodernisme : Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jacques Derrida et Jean-François Lyotard. Parfois considérés comme imprégnés de structuralisme, ils s’en distinguent par leur volonté d’échapper aux philosophies qui construisent des systèmes. Traduites et abondamment commentées aux États-Unis dans les années 1980, les œuvres de ces quatre auteurs sont les références centrales du postmodernisme.