John Maynard Keynes naît à Cambridge en 1883, l’année de la mort de K. Marx. Les deux événements n’ont apparemment pas de rapport, mais l’un comme l’autre ont été les pères indirects de deux systèmes de production : le communisme soviétique pour l’auteur du Capital, les États-providence modernes pour celui de la Théorie Générale. Les deux hommes ont en commun d’avoir accédé à la dimension de prophètes ; leurs écrits ont continué d’être commentés et interprétés bien après leur mort.
Le père de Keynes, John Neville Keynes, était chargé de cours à l’université de Cambridge, où il enseignait la logique et l’économie politique. Florence Ada, la mère de Keynes, est, quant à elle, connue pour son féminisme et son attrait pour les questions sociales.
Fonctionnaire pendant deux ans au bureau des affaires indiennes, puis assistant à l’université de Cambridge à partir de 1909, le jeune Keynes s’engage politiquement en devenant un libéral – au sens anglo-saxon, c’est-à-dire un réformateur de centre gauche.
Objecteur de conscience pendant la Grande Guerre, il développe l’idée d’une solution coopérative pour l’Europe. Le traité de Versailles, signé à l’issue du premier conflit mondial, relève selon lui d’une « paix carthaginoise », car le montant des réparations que l’Allemagne et ses alliés devront payer aux vainqueurs ne peut être vécu par ces derniers que comme une humiliation. « Si nous choisissons délibérément l’appauvrissement de l’Europe centrale, j’ose le dire, la revanche ne traînera pas », prévient-il. Son livre Les Conséquences économiques de la paix (1919), dans lequel il développe ces thèses, sera vendu à 60 000 exemplaires en l’espace de deux mois. Un succès éditorial qui contient déjà, sous forme d’intuitions, les idées keynésiennes fondamentales qu’il formalisera plus tard.
Contre le « laisser-faire »
Quelques années plus tard, Keynes est profondément affecté par la crise de 1929, aux conséquences désastreuses même si, dès 1924, la Grande-Bretagne comptait déjà près d’un million de chômeurs. L’économiste craint qu’une épargne trop élevée ne soit la source de montée du chômage. Jusqu’alors, le chômage avait été combattu par les recettes classiques de baisse du salaire réel, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation. En baissant les salaires, en réduisait les coûts de production, jugés trop élevés, mais la chute de la demande qu’entraînait la baisse des salaires était alors à l’origine de faillites d’entreprises. L’originalité de Keynes va donc être de mettre l’accent sur la demande. Contre les théoriciens classiques qui voient le marché comme naturellement efficient, Keynes considère dès 1937 que le sous-emploi est un état de l’économie qui peut durer. S’engage alors une célèbre controverse avec son compatriote Arthur Cecil Pigou sur l’« effet d’encaisses réelles ». Pour A. Pigou, le sous-emploi existe mais il ne peut être qu’un phénomène transitoire : la baisse des salaires est vite reconstituée sous forme d’encaisses, c’est-à-dire de monnaie, par les agents. Ceux-ci épargnent pour consommer plus tard et réamorcer la production, donc l’emploi.