Comment l'abstentionnisme a-t-il évolué en France au cours de ces dernières années ? Les évolutions en la matière manifestent-elles une singularité française par rapport aux autres pays européens ? C'est ce qu'on se propose d'examiner ici à la lumière des chiffres recueillis dans ces différents pays non sans pointer les limites d'une approche du phénomène dans une perspective strictement nationale. Si l'on considère les quinze dernières années, depuis 1988-1989, les taux d'abstention ont tendu à s'élever en France. Mais le phénomène n'est pas linéaire. Après les records d'abstention aux élections législatives de 1988 (34,3 % au premier tour) et européennes de 1989 (51,3 %), un certain « retour » de la participation avait été constaté aux élections régionales et cantonales de 1992 ainsi qu'au référendum sur le traité de Maastricht. Il varie de surcroît selon les élections : l'abstention n'est jamais aussi faible que lorsque le scrutin est mobilisateur, avec des enjeux perçus par les électeurs et surtout le choix d'un « chef » en jeu, soit lors des élections présidentielles 1 soit lors des élections municipales. Mais cela ne joue pas pour l'exécutif départemental, les élections cantonales mobilisant peu. Si l'on prend un peu plus de recul dans le temps, on s'aperçoit que des points d'abstention ont existé en France avant même que l'on ne parle de « dépolitisation » : aux élections législatives de novembre 1962, le taux d'abstention s'élève à 31,3 % (premier tour) et 27,9 % (second tour) ; à l'élection présidentielle de 1969, on constate un taux de 22,4 % au premier tour (l'électorat socialiste se mobilise faiblement autour de la candidature Defferre), et même 31,1 % au second tour (qui inspire le fameux slogan du parti communiste « bonnet blanc et blanc bonnet »).
Indépendamment des considérations méthodologiques sur les problèmes de comparaison dans le temps (évolution des modalités d'organisation des élections et modification de certaines règles d'élection ; évolution des pouvoirs des organes locaux), ces évolutions traduisent bien un relatif déclin de la participation électorale en France. Ce résultat se retrouve-t-il ailleurs en Europe ?
Des pays se montrent particulièrement plus « participationnistes », en toutes circonstances. C'est le cas de la Belgique : au cours des 18 élections parlementaires qu'elle a connues de 1945 à 2002, en moyenne 92,5 % des Belges ont exprimé leur voix et la participation n'est jamais tombée en dessous de 90 %. C'est bien sûr le caractère obligatoire du vote qui, à la fois, a produit cette situation exceptionnelle et construit sur une longue période une culture de participation. Au Luxembourg, en Italie, les taux de participation électorale sont voisins de ceux de la Belgique, pour des raisons d'ailleurs similaires ou presque. A l'autre extrémité de ce continuum de la participation électorale, les électeurs irlandais ont en moyenne participé à 73,2 % au cours de la même période, soit une statistique proche de la France et du Portugal (dont on ne peut sérieusement comparer la participation électorale qu'après le milieu des années 70).