À l’article « vieillard », le premier dictionnaire de langue française, de César Pierre Richelet (1680), donne cette définition peu amène : « On appelle vieillard un homme depuis 40 jusqu’à 70 ans. Les vieillards sont d’ordinaire soupçonneux, jaloux, avares, chagrins, causeurs, se plaignent toujours ; les vieillards ne sont pas capables d’amitié. »
C.S. Richelet ne faisait pas dans la dentelle ni dans le politiquement correct. Il ajoute : « On appelle une femme vieille depuis 40 jusqu’à 70 ans. Les vieilles sont fort dégoûtantes. Vieille décrépite, vieille ratatinée, vieille croupieuse. »
On entend souvent dire qu’autrefois, on savait s’occuper des vieux. Entouré des siens, le vieux avait une place à tenir dans la société. Que malgré les outrages du temps, on entrait donc plus volontiers dans la peau du vieillard. Cet « autrefois » qui renvoie à une époque et à des lieux indéterminés est largement mythique.
Mirages de la gérontocratie
Certes, dans nombre de sociétés agraires traditionnelles, les vieux sont des personnages importants que l’on respecte et que l’on écoute. Ils savent un tas de choses sur les médecines, les plantes, les animaux ; ils tempèrent les conflits. D’où la place privilégiée qu’ils occupent dans le « conseil des anciens » dans les sociétés agraires africaines ou chez les Indiens d’Amérique du Nord (« Un vieux qui meurt, c est une bibliothèque qui brûle », Amadou Hampâté Bâ). Chez les Grecs et chez les Romains, le « patriarche » est respecté. Mais c’est sans doute en Chine que ce respect des vieux est porté au plus haut, au point d’être l’un des piliers de l’idéologie officielle confucianiste.
Mais les études récentes sur l’histoire de la vieillesse présentent un tableau beaucoup plus contrasté que l’image idyllique d’une vieillesse longtemps tenue pour une évidence (1). Chez les chasseurs-cueilleurs nomades, le vieillard était une charge encombrante. Ne pouvant ni chasser ni suivre le groupe sur sa route, il fallait s’en débarrasser. Ce fut le cas chez les Inuits ou chez les Aborigènes. Arrivé au bout de ses forces, il était abandonné et parfois tué. Pendant l’Antiquité, le Moyen-Âge, la Renaissance, les vieux n’étaient respectés et considérés que dans les classes riches : ils détenaient les richesses qui ouvraient l’accès à un statut politique. Ailleurs, le vieux était souvent une charge inutile, au mieux reclus dans une pièce de la ferme, au pire finissant seul ses jours dans une cabane désertée. Les « hospices des vieux » datent de la fin du xixe siècle. Mis en place pour éviter aux vieux de mourir seuls, ce furent longtemps de véritables mouroirs, où l’on ne s’occupait que de les nourrir et les vêtir dans des salles communes (2).
Même respectée, la vieillesse ne fut jamais enviée. De tout temps, elle fut considérée comme l’âge du déclin. Dès la plus haute Antiquité, on trouve des textes de lamentations sur les effets de la vieillesse. Le plus ancien remonte à l’Égypte d’il y a 2 500 ans, dû au poète Ptah-hotep : « Comme elle est pénible la fin d’un vieillard ! Il s’affaiblit chaque jour ; sa vue baisse, ses oreilles deviennent sourdes ; sa force décline ; son cœur n’a plus de repos (…). Tous ses os sont douloureux. Les occupations auxquelles on s’adonnait naguère avec plaisir ne s’accomplissent plus qu’avec peine. »
Les auteurs grecs ne furent pas tendres. Homère parle du « seuil maudit de la vieillesse ». Ovide déclame : « Ô temps dévastateur ! » Au Moyen-Âge et à la Renaissance, la vieillesse n’est guère mieux servie. William Shakespeare parle du « fer cruel de l’âge destructeur » et se moque du vieillard, « maigre bouffon en pantoufles (3) ».
Avec les Lumières, on porte certes un regard plus optimiste sur la vieillesse et l’on en vante les mérites. Pour autant, considération ne veut pas dire émerveillement. Denis Diderot, lucide et implacable, note : « On honore la vieillesse, on ne l’aime point. »