L'anthropologue à plume

En 1988, Clifford Geertz, chef de file du postmodernisme, publiait un essai remarqué, L'Anthropologue comme auteur. Sa thèse ? Derrière le réalisme de la description ethnographique se cache un travail d'écriture, de mise en scène, de choix de mots et de faits qui construisent une fiction vraisemblable. Avec lui, George Marcus, James Clifford, Renato Rosaldo ont soutenu que le texte ethnographique était aussi sensible que la littérature à la posture sociale de l'auteur, aux modes artistiques et à ses expériences personnelles. Cela suffit-il à abolir les frontières entre les genres ? Certains auteurs, comme Michael Taussig (My Cocaine Museum, 2004), ont assumé cette posture, produisant un mélange savant de références factuelles et de poésie imagée. Toutefois, la fusion entre ethnographie et littérature reste problématique. Les auteurs, en tout cas, éprouvent le besoin de s'en expliquer dans un numéro récent de la revue Anthropologie et sociétés (2004, 3) intitulé « Ethnographie-fictions ? ». Quant aux « vérités de la fiction », telles que les aborde la revue L'Homme (n° 3, 2005), elles procèdent de la démarche inverse, qui consiste à extraire une information sur le monde d'un texte ne prétendant qu'à l'imagination.

Comme le fait remarquer Vincent Debaene dans ce numéro, ce n'est pas parce qu'un anthropologue produit des récits poétiques qu'il réussit à faire de la littérature. Et si c'est le cas, la qualité scientifique de ses écrits n'y est peut-être pour rien.