L'art est la source de l'humanité Entretien avec Jean-Pierre Changeux

Pour ce neurobiologiste passionné par la musique et collectionneur de tableaux, l’art est le propre du cerveau humain, et ce depuis la nuit des temps. Mais pourquoi nos neurones en sont-ils si friands ?

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Avec le neuropsychologue Stanislas Dehaene, vous avez modélisé l’acquisition du chant par les oiseaux. Estimez-vous que le sens du beau soit le propre de l’homme ?

Oui, bien sûr ! Le chant des oiseaux diffère d’une espèce à l’autre, il peut s’apprendre, on observe de la variabilité dans la manière dont il se développe, certains dialectes apparaissent… il possède des qualités esthétiques, mais il est très stéréotypé, et sa créativité est extrêmement limitée. Or, l’un des aspects clés des règles de l’art est la nouveauté. Celle-ci, dans les créations humaines, est sans commune mesure avec celles des autres espèces animales, oiseaux inclus. C’est vraiment avec Homo sapiens que l’art se développe dans toute sa liberté, son exubérance.

Il existe pourtant un petit marché de l’art pour les animaux artistes, comme les singes ou les éléphants. Ne peut-on pas voir, dans leurs coups de pinceau, les prémices de la créativité ?

Ce qui compte, c’est ce que l’expérimentateur met entre les mains d’un singe : s’il place des pinceaux avec des couleurs différentes, évidemment cela aboutira à des griffonnages qui prendront l’apparence d’une œuvre abstraite… mais non, franchement, ce ne sont pas des œuvres d’art. Il n’y a pas que le geste qui compte : le singe n’aura pas le sens de la composition, alors que chez Homo erectus la symétrie est déjà une composition. Et je n’ai jamais vu de symétrie apparaître chez un singe à qui l’on donne un pinceau. Un enfant fait beaucoup mieux, de toute façon ! Décidément l’art est le propre de l’homme, et j’ajouterai, de son cerveau.