L'« autre regard » de Terre Humaine

La parution d'un livre consacré à la collection «Terre Humaine», presque cinquantenaire, est l'occasion de rendre hommage à une aventure éditoriale unique en son genre dans les sciences humaines.

Placée sous le signe de l'engagement et de la nostalgie, la collection d'ouvrages « Terre Humaine » (éditions Plon) a su concilier écriture littéraire, scientificité et humanisme.

Pierre Aurégan a entrepris une lecture croisée des ouvrages publiés dans la collection depuis 1955. Il fournit un recueil de morceaux choisis classés par thèmes et propose un parcours anthropologique à travers les sociétés et les cultures abordées. Une partie, plus originale, explore les significations et enjeux de la collection. Sa radiographie de « Terre Humaine » ne cache pas une admiration pour son fondateur et organisateur, Jean Malaurie, spécialiste des Inuits, auteur du premier numéro de la collection, Les Derniers Rois de Thulé (1955) ainsi que du récent Hummocks, publié en 1999 (2 volumes).

L'audience de la collection dépasse de loin le cercle des spécialistes. Les 69 titres confondus se sont vendus à ce jour à plus de 10 millions d'exemplaires. Certains sont des livres phares de la collection, comme Louons maintenant les grands hommes de James Agee, illustré des photographies de Walker Evans (1939, rééd. 1972), ou Le Cheval d'orgueil de Pierre Jakez Hélias, un véritable phénomène d'édition (paru en 1975 et vendu à plus d'un million d'exemplaires). Plusieurs ouvrages, écrits par des ethnologues, sont devenus des classiques, tels le célèbre Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss (1955) ou la Chronique des Indiens guayaki, de Pierre Clastres (1972). Parmi les chercheurs, la collection a aussi fait appel à des agronomes comme René Dumont, des géographes avec Pierre Gourou, Gaston Roupnel ou J. Malaurie lui-même, géomorphologue de formation. « Terre Humaine » a surtout voulu donner la parole à ceux qui n'ont pas droit au chapitre : les peuples « premiers » et les minorités, mais aussi les humbles, comme un métayer auvergnat (Toinou, Antoine Sylvère, 1980), un serrurier (Gaston Lucas, serrurier, Adélaïde Blasquez, 1976) ou un mineur de fond (Mineur de fond, Augustin Viseux, 1991). Elle est aussi attentive aux exclus, déviants, opposants... A chaque fois, il s'agit de faire entendre une voix singulière, l'ensemble de la collection fonctionnant comme une polyphonie. Il y a aussi « volonté d'arracher la parole populaire au monopole de l'exégèse savante », d'abolir le clivage écrit/oral.